"Il faut aller chercher la synergie entre systèmes et entre industriels", selon Antoine Millot (ETT)

Par   Corentin PATRIGEON

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Publié le 21 mai 2025
Crédit photo ETT
Antoine Millot, directeur général d'ETT (Énergie Transfert Thermique).
STRATÉGIE. Forte d'un bilan 2024 solide et de perspectives 2025 qui le sont tout autant, l'entreprise bretonne spécialisée dans le génie climatique mise sur ses innovations et son recours à l'intelligence artificielle pour contribuer, à sa mesure, à la transition énergétique. Rencontre avec son directeur général, Antoine Millot.

XPair : Pouvez-vous tout d'abord présenter votre entreprise et son activité ?

Antoine Millot : ETT, pour Énergie Transfert Thermique, est une entreprise familiale basée à Brest, qui conçoit et développe des solutions énergétiques à destination de tout type d’application et de bâtiment, sauf le particulier. Nous fabriquons nos propres produits et proposons des services couvrant toute la durée du cycle de vie sur différents marchés : commerce, grande distribution, restauration rapide, industrie, aéroporturaire, tertiaire, énergies (ENR, nucléaire…). Autant de marchés qui nous permettent de sécuriser et de porter notre activité.

Comment avez-vous soldé l'exercice 2024 ?

A. M. : Avec nos 400 salariés, nous avons réalisé 72 millions d'euros de chiffre d'affaires l'année dernière, soit une croissance de 8% sur un an. Quatre-vingt pour cent de notre CA se font en France, le reste à l’export. Nous avons des filiales en Pologne, Roumanie, Russie et Kazakhstan, et nous passons par des distributeurs pour l'Outre-mer et l’Afrique. Nous sommes reconnus pour nos solutions sur-mesure qui répondent à la technicité de nos clients industriels.

Et comment se présente le début d'année 2025 ?

A. M. : Les planètes sont toujours alignées. Nous devrions encore être en croissance et aller chercher les 80 M€, portés par tous les marchés qui se développent. Nos clients nous font confiance et notre offre de services fait la différence : on les accompagne de A à Z, ce qui leur retire une épine du pied, et on allège leurs factures en optimisant le fonctionnement de nos équipements.

Quels atouts faites-vous valoir pour vous démarquer ?

A. M. : Pour exister face à la concurrence, il faut créer de la valeur, c'est pourquoi nous nous positionnons sur du premium. ETT propose des équipements performants avec des composants uniques, qui s'intègrent dans des systèmes "plug and play" et ont une grande qualité de finition. Nous avons en effet fait le choix de produits 100% aluminium, un matériau certes plus cher mais aussi plus noble, plus facile à travailler et plus durable, qui peut être reconditionné en faisant du "retrofit", c'est-à-dire une mise à jour sur les normes techniques et réglementaires - de nos propres machines.

Étant donné que nous sommes sur un marché technique, dont les produits ont un poids non négligeable sur la facture de nos clients, nous les aidons en exploitation via des contrats de performance énergétique (CPE). Nous disposons d'une cellule de performance énergétique constituée d'experts qui assurent leur suivi grâce à nos équipements connectés. Il y a d'ailleurs une réelle demande du marché sur le CPE, l’optimisation des paramètres et la régulation des équipements.

"La réglementation crée de l’opportunité. Elle permet de sensibiliser tout en faisant de la pédagogie."

Par ailleurs, nous embauchons de nouveaux salariés pour continuer à assurer 100% de notre production à Brest et nous comptons sur notre maillage commercial très fin pour garantir la proximité avec nos clients, qui sont des bureaux d'études, des installateurs ou des clients finaux. Ces commerciaux sont épaulés par des forces de ventes marchés, qui s’occupent de l’application, de la communication et de la prescription, et par des chargés d’affaires ainsi que des ingénieurs marchés rattachés à l’usine, spécialisés pour leur part dans l’application technique. Tout cela forme un trio extrêmement efficace !

Et toutes ces caractéristiques nous permettent aujourd’hui d’avoir les voyants au vert, dans un contexte marqué par de nombreux enjeux économiques et environnementaux, et alors que la crise énergétique valorise précisément nos solutions face aux contraintes réglementaires.

Sur le plan international, pourriez-vous être impactés par la hausse des droits de douane décidée par l'administration Trump ? Et subissez-vous aussi la concurrence exacerbée des industriels asiatiques ?

A. M. : Sur les droits de douane, nous risquons d’être impactés indirectement, dans la mesure où certains de nos clients vont y être confrontés. Sur les industriels asiatiques, ceux-ci fournissent surtout des solutions pour des marchés sur lesquels nous ne sommes pas en concurrence directe. Ils n'en demeurent pas moins une menace, car ils rachètent beaucoup d’autres entreprises. Chez ETT, nous avons la possibilité d’être agile, en développant nos propres briques technologiques et en convainquant nos clients par des tests et des qualifications sur site, ce qui nous permet ensuite d'essaimer.

Estimez-vous que les réglementations, française comme européenne, sont plutôt un frein ou au contraire un accélérateur pour l'industrie du génie climatique, aujourd'hui dans la tourmente ?

A. M. : La réglementation crée de l’opportunité. Elle permet de sensibiliser tout en faisant de la pédagogie. La RE2020, par exemple, sensibilise nos clients à leur propre consommation, et les pousse à passer à des bâtiments vertueux et durables. Le F-Gas est aussi vertueux en théorie, mais cependant anxiogène en pratique, bien qu'on soit capable de s’adapter très facilement avec nos ingénieurs R&D. Il y a trois ans, on a fabriqué le premier "rooftop" au propane ; il y a un an et demi, le premier en adiabatique-propane ; et on s'apprête à lancer une nouvelle gamme au propane. C'était déjà une véritable rupture par rapport à ce qui se fait aujourd’hui !

À propos d'innovation, il semble que vous ayez fait le choix de l'IA pour renforcer vos équipes et améliorer vos services...

A. M. : Cela fait déjà 15 ans que nos matériels remontent de la data de nos clients et la stocke sur nos serveurs. Il y a deux ans, on s’est rendu compte qu’on ne pouvait toutefois pas mettre un "data scientist" derrière chaque client. Pour nous, l’IA est un terrain de jeu. Elle est au service de la data pour faciliter l’"energy management", qui est aujourd’hui de 30% mais sera demain de 50% grâce à l’IA. Chaque tonne de CO2 émise par les "prompts" est compensée par le CO2 qu'ils font économiser aux bâtiments.

"On s’est rendu compte qu’on ne pouvait pas mettre un 'data scientist' derrière chaque client. Pour nous, l’IA est un terrain de jeu. Elle est au service de la data pour faciliter l’'energy management'".

On décarbone aussi les "data centers" qui stockent nos données, et les centrales nucléaires qui les alimentent, sans oublier qu'on fait aussi de l’éolien et du photovoltaïque. C'est une belle manière de boucler la boucle et de démontrer que tout est au service de tout ! Sur la maintenance prédictive, l’IA a des promesses assez intéressantes en pouvant capter tous les signaux faibles annonçant une casse ou une panne, ce qui nous permet d’être plus dans la réaction et moins dans l’urgence.

Le "machine learning" et les jumeaux numériques représentent aussi un fort potentiel. Concrètement, nous utilisons de la data de matériels en exploitation comme des jumeaux numériques dynamiques, ce qui nous permet de ne pas proposer une simple STD (simulation thermique dynamique) mais de qualifier l'enveloppe du bâtiment et d'adapter notre matériel en conséquence, et donc d'apporter une réponse réelle et adaptée aux besoins du client.

Comment s'est déroulée l'intégration de l'IA au sein de vos services ? Ne fait-elle pas peser des risques sur l'emploi de vos effectifs ?

A. M. : Nous avons une équipe de salariés formés et dédiés à l'IA, qui sont en plus accompagnés d’un prestataire spécialisé en IA. En interne, tous nos services ont été audités et des séminaires ont été organisés ; on commence maintenant à intégrer l’IA dans nos processus. Elle nous sert par exemple à créer des chatbots techniques pour répondre aux questions des uns et des autres. Mais il n'y a pas de risques sur l'emploi de nos salariés : chez ETT, nous faisons du matériel sur-mesure, or l’IA a besoin d’un modèle existant et elle ne peut pas concevoir de matériel nouveau, inédit.

L’IA ne fera pas de miracle car il faut toujours avoir une présence humaine pour valider sa pertinence. Elle permet simplement de mobiliser nos ressources sur d’autres postes, plus utiles. L’ingénierie et la fabrication peuvent d'ailleurs voir leurs performances démultipliées par l’IA. Cependant, c’est aussi un risque au niveau commercial : les entreprises qui ne s’en saisissent pas vont être menacées par celles qui s'en seront saisies et dont les performances auront été boostées.

Selon vous, quel rôle doit jouer le bâtiment dans la transition énergétique qui s'impose à nous ?

A. M. : Face au changement climatique, beaucoup de systèmes sont déjà vertueux. Il faut faire la chasse aux calories, en valoriser un maximum, pousser les systèmes les plus efficients, comme le fait de récupérer les calories des façades sud pour les acheminer vers les façades nord. Les solutions type "dry cooling" sont par exemple plus chères à l'achat, et les retours sur investissement étant de plus en plus faibles, je pense que l’État pourrait accompagner le développement de ces systèmes.

"Nous devons tirer parti de la complémentarité des briques technologiques."

Dans le cadre de la rénovation, il faudrait pouvoir accompagner les solutions géothermiques, qui sont elles aussi plus chères mais néanmoins extrêmement efficaces. Les réseaux de chaleur sont également une très bonne solution. Nous devons tirer parti de la complémentarité des briques technologiques, comme le fait de récupérer les calories des armoires réfrigérées ou boucles d’eau pour les coupler à un système adiabatique. Chaque marché a ses particularités.

C’est une véritable remise en question : vers quoi flèche-t-on les subventions pour inciter à des dépenses d'investissement ? Au niveau de la souveraineté industrielle et du développement durable, il vaut mieux acheter un matériel qui s’inscrit dans le temps. C’est un cycle vertueux impactant toute la chaîne de valeur. Il y a donc de la synergie à aller chercher entre systèmes, et entre industriels.


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