"L'atonie du marché est très étroitement liée aux incertitudes politique et budgétaire", d'après Coénove
Le 16 décembre 2024, la concertation publique portant sur la troisième version des Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) s'achevait officiellement. L'occasion pour certaines fédérations professionnelles et associations d'acteurs de rappeler leurs arguments, à l'image de Coénove, qui remonte au créneau pour défendre la complémentarité des énergies et alerter sur les dangers d'une électrification massive.
Dans un entretien à XPair, son président, Jean-Charles Colas-Roy, déplore également l'alourdissement de la fiscalité sur les chaudières gaz - y compris les plus vertueuses - et analyse les tenants et les aboutissants de l'empreinte carbone du bâtiment, après que celle-ci soit repartie à la hausse fin 2024 selon les dernières estimations du Citepa (Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique).
XPair : La concertation sur les PPE 3 et SNBC 3 clôturée, quelle est la position de Coénove dans le débat public actuel ?
Jean-Charles Colas-Roy : Nous regrettons la vision électrocentrée qui a émergé de cette concertation publique. Coénove plaide pour une vision plus équilibrée de notre bouquet énergétique : il ne faut pas mettre tous nos œufs dans le même panier mais au contraire mettre en oeuvre le triptyque réduction des consommations - diversification du mix avec le développement des gaz "verts" - et innovation technologique, comme les chaudières THPE (très haute performante énergétique).
Concrètement, nous sollicitons le rehaussement de la trajectoire des gaz renouvelables face à la baisse inéluctable de la consommation globale de gaz. Aujourd'hui et tous usages confondus, la consommation de gaz est de 400 térawatts-heures. La rénovation des bâtiments, couplée à des appareils dont la sobriété et l’efficacité énergétiques continuent à progresser, vont la faire mécaniquement baisser à 320 TWh en 2030, puis 280 en 2035 et 200 en 2050, soit une division par deux par rapport au niveau actuel.
"Nos adhérents croient beaucoup à l’alliance vertueuse des électrons décarbonés avec les molécules décarbonées"
En parallèle, la France produit environ 12 à 13 TWh de gaz "verts" actuellement, ce qui représente 3% de la production globale. En 2030, elle pourrait produire 60 TWh (ce qui lui permettrait de couvrir 20% de la consommation), puis 120 en 2035 (40% de la consommation) et 300 en 2050. Pour rappel, le bâtiment représente aujourd’hui 40 à 50% de la consommation totale de gaz du pays.
Nous renouvelons par ailleurs notre soutien à l’hybridation des systèmes. En effet, nos adhérents croient beaucoup à l’alliance vertueuse des électrons décarbonés avec les molécules décarbonées. Pour soutenir le lancement et l'implantation de ces solutions, on devrait cependant les accompagner financièrement en rémunérant les services énergétiques rendus, comme l'évitement des pointes hivernales de consommation d'électricité.
Dans le bâtiment, Coénove défend aussi la valorisation du biogaz au travers du DPE. Nous regrettons toutefois que le débat parlementaire ait été esquivé dans le cadre de la concertation publique sur la PPE. Un décret va être pris, mais une loi aurait donné une force, une légitimité supplémentaire à ce qui constitue la feuille de route énergétique du pays.
#VERBATIM#
Dans quelle mesure l'instabilité politique et les contraintes budgétaires pèsent-elles sur l'activité de vos adhérents ?
J.-C. C.-R. : Nous discutons avec tous les ministres qui ont été ou sont encore concernés par nos problématiques, mais ce qui est sûr, c’est que l’instabilité politique et les changements incessants sur la fiscalité, la réglementation et les mécanismes de soutien créent une incertitude défavorable au marché du bâtiment, qu’il s’agisse de construction, de rénovation ou d’entretien-amélioration. Nos adhérents constatent une atonie du marché très étroitement liée à ces incertitudes.
Coénove s'aligne sur l’ensemble des organisations professionnelles du bâtiment (Capeb, FFB...) en appelant à stabiliser les dispositifs d’aide, la réglementation et la fiscalité. Il faut retrouver un climat de confiance pour que les consommateurs s’y retrouvent et repartent dans des projets de travaux. La baisse de Ma prime rénov' ou du Fonds vert, par exemple, nous inquiète. D'autant plus que, d'un côté, les pouvoirs publics fixent des objectifs ambitieux en matière de rénovation, mais que de l'autre, les mécanismes de soutien permettant d'atteindre ces objectifs diminuent. Cette dichotomie interpelle.
Parmi ces mécanismes de soutien, les artisans du bâtiment regrettent la suppression du taux réduit de TVA sur les chaudières gaz, y compris les plus performantes...
J.-C. C.-R. : La TVA à 5,5% est un véritable signal d’encouragement. Son passage à 10% est un coup dur pour des ménages souvent contraints, car je rappelle que près de 10 millions d'entre eux n'ont pas d’autres choix que d'alimenter leur logement en gaz. On ne peut pas électrifier partout pour des raisons techniques et/ou économiques, alors que les THPE sont des équipements performants permettant de réaliser 30% d’économies d’énergie. On vient ainsi stigmatiser des appareils répondant à la demande d'un grand nombre de nos concitoyens.
Nous invitons donc le gouvernement Bayrou à revoir la copie du projet de loi de Finances du gouvernement Barnier en supprimant l’article 10 du texte et en rendant plus lisible l’ensemble des dispositifs de soutien au développement des ENR. Il nous faut de la stabilité sur les normes et la fiscalité, ainsi qu'un renforcement des aides et soutiens à la rénovation.
"La TVA à 5,5% est un véritable signal d’encouragement"
Dans ses estimations des émissions de gaz à effet de serre du 3e trimestre 2024 actualisées fin décembre, le Citepa constate une hausse de la pollution dans le secteur du bâtiment. Comment l'expliquez-vous ?
J.-C. C.-R. : Le bâtiment est l’un des secteurs qui a le plus baissé ses émissions depuis plusieurs années et est aujourd'hui l’un des plus vertueux. Il y a certes une petite hausse au 3e trimestre 2024 mais elle ne doit pas faire oublier tous les efforts réalisés. On regrette d'ailleurs que certains responsables politiques, plutôt que de constater la baisse des moyens consacrés à la rénovation et le relâchement du soutien public à la sobriété, choisissent la facilité en stigmatisant les chaudières et en les transformant en boucs émissaires. Il faut au contraire aider, renforcer les moyens sur la rénovation des bâtiments, aider à la transition vers des chaudières performantes et développer le soutien au gaz vert.
Fin 2024, de nombreux observateurs se sont attardés sur la reprise du marché des chaudières et les difficultés rencontrées sur le marché des Pac. Mais cette reprise des chaudières intervient après des années de forte baisse, ce qui traduit le fait que les chaudières, même si elles ne sont plus aidées, restent des équipements performants, robustes, compatibles aux gaz renouvelables et qu'elles ont donc toute leur place dans le mix énergétique.
Tandis que sur le marché des Pac, les difficultés actuelles interviennent après des années de très forte hausse. Il n’y a donc pas de vases communicants qui peuvent être établis entre les deux marchés, d'autant plus qu'il manque dans l’équation 100.000 à 200.000 appareils qui n’ont pas été renouvelés. Encore une fois, cela tient beaucoup plus à l’instabilité des aides à la rénovation et aux trop nombreux changements sur les normes et la fiscalité, qu'à un basculement du choix des consommateurs.
"Il faut mettre en oeuvre le triptyque réduction des consommations - diversification du mix avec le développement des gaz "verts" - et innovation technologique, comme les chaudières THPE"
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