Photovoltaïque : "Le marché est en train de saturer car beaucoup d’entreprises du BTP s'y lancent"
Le ciel du photovoltaïque commencerait-il à s'assombrir ? Avec 2 millions de panneaux solaires écoulés en 2024 dans l'Hexagone, pour une puissance cumulée d'un gigawatt, le distributeur allemand BayWa R.E. Solar Distribution signe un bon exercice.
Mais plusieurs facteurs, à la fois conjoncturels et structurels, incite l'entreprise à la prudence pour les prochains mois.
Il revient notamment sur la hausse exponentielle des installateurs qualifiés, les questions d'assurabilité et les opportunités de diversification qui s'offrent aux acteurs. À l'heure de la réindustrialisation à marche forcée de l'Europe, la filière met aussi en avant sa capacité d'innovation ainsi que son modèle d'économie circulaire.
XPair : Quels sont les principaux enseignements de l'exercice 2024 pour votre activité de distribution ?
Julien Chirol : D'une manière générale, le secteur de la distribution du marché PV et nous-mêmes adressons deux segments de marchés : la petite toiture, principalement résidentielle, et la moyenne toiture, comme les hangars agricoles ou les ombrières sur les parkings de supermarchés. Ce sont deux segments distincts avec des opérateurs différents.
Sur la partie moyenne toiture, qui représente le gros de l’activité de BayWa, le marché s'est très bien porté durant toute l’année 2024. L'activité a énormément grossi, du fait de l’arrêté tarifaire S21 publié il y a trois ans et dont la filière est en train de récolter les fruits.
Le texte doit d'ailleurs être remodelé début 2025 car il fonctionne même trop bien par rapport aux objectifs que s’est fixé le Gouvernement. Le secteur résidentiel a lui aussi fortement augmenté au 1er semestre, avant de se stabiliser, voire de diminuer depuis le milieu d’année. Au total, BayWa France devrait réaliser un peu plus de 220 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2024.
"Beaucoup de nouveaux acteurs venant d’autres métiers mettent un pied dans ce marché sans en avoir ni l’expérience ni la compétence"
Toutefois, le marché est en train de saturer car beaucoup d’entreprises du BTP se lancent dans le PV. Le nombre de qualifications QualiPV délivrées est passé de 2.300 fin 2022 à 4.100 en décembre 2023, puis environ 5.700 fin 2024.
Ce triplement, opéré en l’espace de deux ans, engendre beaucoup plus de concurrence, qui est une bonne chose puisqu'elle tire les prix vers le bas, sauf que le marché, lui, n’a pas triplé dans le même temps. Des installateurs peuvent ainsi se livrer une guerre commerciale, avec un effondrement des marges à la clé et une standardisation des prix sous la pression des grandes enseignes.
Beaucoup de nouveaux acteurs venant d’autres métiers mettent donc un pied dans ce marché sans en avoir ni l’expérience ni la compétence. Le rythme d'arrivée des nouveaux entrants sur le marché étant plus rapide que celui de l'activité, qui a plutôt tendance à stagner, voire à décroître, cela met une certaine pression sur les acteurs déjà en place, d'autant que s’y ajoute un contexte économique et politique morose et instable.
De plus, beaucoup de centres de formation QualiPV ont des délais d’attente de plusieurs mois, voire trimestres. Ces prochaines années, le nombre d'installateurs risque d'être surdimensionné par rapport à la taille du marché. Des pertes affectent déjà les distributeurs locaux.
Comment expliquez-vous ce phénomène ?
J. C. : Sur le plan économique, la fin des subventions et la baisse des prix de l'électricité en Europe, qui avaient jusque-là soutenu le marché, expliquent ces tensions. Les conséquences risquent d'être contre-intuitives pour un dispositif partant pourtant d’un bon sentiment. Le métier de photovoltaïcien est à la croisée de plusieurs métiers du bâtiment : couvreur, électricien, étancheur, domoticien... La conjoncture étant mauvaise dans le bâtiment, les professionnels se rabattent donc sur ce qu’ils peuvent pour trouver une bouffée d’oxygène.
Et comme le taux de déploiement des centrales solaires en France est l'un des plus bas d’Europe, c'est assurément un métier d'avenir à moyen-long terme. Mais la croissance du PV sur notre territoire attire également des distributeurs et installeurs étrangers en quête de nouveaux débouchés, ce qui renforce encore la pression sur les acteurs tricolores.
Le marché allemand a été plat de 2023 à 2024, tandis que l'Espagne et les Pays-Bas se sont effondrés. La France et la Suisse font partie des rares pays à avoir enregistré une bonne activité, ce qui pousse logiquement les distributeurs à s’exporter.
Se pose alors la question de la responsabilité : en cas de défaillance ou de litige sur une installation, les démarches vont nécessairement être plus compliquées face à une entreprise hollandaise ou espagnole que face à un professionnel français. Sans oublier les nombreuses contraintes réglementaires et techniques pesant sur les produits, avec le risque pour le consommateur final de se faire piéger par des vendeurs ne connaissant pas dans le détail les notions à suivre, comme le bilan carbone des panneaux.
"Le sujet de l'assurabilité concerne surtout la mise en œuvre des systèmes, c'est pourquoi il faut choisir le bon matériel et bien l’installer"
Si le secteur du PV présente de nouveau des risques, quelles sont être les conséquences en termes d'assurabilité ?
J. C. : Il n'y a pas vraiment de risques d’assurabilité pour l'instant mais c’est un vrai sujet. Aujourd'hui, la sinistralité est encore faible donc les assureurs ne montent pas la garde, cependant toutes les entreprises du bâtiment ont déjà un historique avec des assureurs et il est plus facile d’étendre sa couverture au PV lorsque son historique est déjà bon que d'arriver chez un assureur comme nouveau client.
Le sujet concerne surtout la mise en œuvre des systèmes, avec par exemple les risques d’infiltration, et c'est pourquoi il faut choisir le bon matériel et bien l’installer. Or, certains nouveaux acteurs ne sont pas assez formés pour bien le faire et il commence à y avoir des litiges sur ce point. Les toitures travaillant au fil du temps, les assureurs seront peut-être amenés à durcir le ton.
Face à une concurrence aussi exacerbée, quelles peuvent être les opportunités de diversification qui se présentent à vous ?
J. C. : Nous pouvons nous tourner vers les infrastructures de recharge de véhicules électriques, par exemple. Selon un sondage que nous avons commandé, plus de la moitié des installateurs envisagent une transition vers des segments complémentaires comme les IRVE, le stockage d'énergie ou le secteur tertiaire. Dans une logique d'autoconsommation, ces équipements peuvent s'avérer pertinents pour des entreprises produisant et consommant en journée - idem pour les particuliers, cette fois plutôt en soirée ou le week-end.
Du côté des clients finaux tertiaires ou industriels, certaines sociétés réalisent un test pilote pour voir comment le PV peut les aider à mieux gérer leur consommation et ainsi payer moins cher. Une partie des batteries que l’on vend aujourd’hui est destinée à ces pionniers.
De même, la modification du système d'heures creuses prévue en 2025, afin de mieux les faire coller au pic de production solaire, est pour nous un "business case". Le producteur d’électricité PV aura alors pour but de maximiser sa production au moment où elle vaudra le plus cher, donc pour nous cela pourrait impliquer des installations de batteries afin d'absorber cette production à heures creuses et la réinjecter plus tard dans la journée.
"Le marché se dirige de plus en plus vers les ombrières de parkings"
S'il faut placer les installations plein sud pour avoir le meilleur rendement financier, aujourd’hui des panneaux orientés est et ouest permettent d’aplatir et d’élargir la courbe de production. Concrètement, on va ainsi produire moins en valeur absolue mais on va produire une énergie mieux intégrable au réseau et plus adaptée à l’autoconsommation. Cela requiert le même matériel, mais intégré différemment.
Le marché se dirige également de plus en plus vers les ombrières de parkings. En fait, plus l'activité s'oriente vers l’autoconsommation, plus elle s'oriente vers les bâtiments tertiaires et industriels. Mais cela nécessite un renfort de charpente, qui n'est pas toujours techniquement possible et toujours plus coûteux.
Dans tous les cas, on souhaite faciliter l’accès à cette tranche de marché. Toutefois, 70 à 80% du marché de la moyenne toiture sont portés par les hangars agricoles en revente totale, qui sont par définition situés à la campagne, dans les zones les plus faiblement consommatrices et où le réseau doit être adapté.
Le silicium représente aujourd'hui la quasi-totalité de la production de panneaux PV. Y a-t-il des innovations dans les tuyaux ?
J. C. : De réelles innovations, non. L’industrie PV a grandi très vite avec des investissements énormes et des marges faibles voire négatives, par conséquent sans risque technologique et avec beaucoup de R&D. Les industriels veulent être sûrs que cette stratégie paye et améliorent donc continuellement leurs technologies et produits existants.
La filière s'est aussi emparée de la question de la collecte et du traitement de ses déchets. Quel rôle jouez-vous dans ce circuit ?
J. C. : En tant qu’importateur de panneaux PV, nous devons verser une écoparticipation. Idem pour les onduleurs, afin de financer la recyclabilité des métaux (cuivre, aluminium...) qu'ils contiennent. Nous disposons de deux entrepôts en France : un à Port-Saint-Louis-du-Rhône (Bouches-du-Rhône) et l’autre à Poupry, au nord d’Orléans (Loiret), qui sont aussi des points de collecte Soren (l'éco-organisme de la filière PV, NDLR) où les installateurs peuvent nous apporter leurs panneaux usagés ou endommagés.
"La valeur ajoutée d’une installation solaire ne réside pas que dans les panneaux, il faut aussi penser au reste de la chaîne"
Il y a également un enjeu de souveraineté industrielle autour de la production de silicium. Avec quels fournisseurs travaillez-vous ?
J. C. : Au moins 95% des modules PV sont effectivement fabriqués en Asie, par conséquent nous travaillons essentiellement avec des fabricants asiatiques. Nous n'avons pas le choix car ils ont absorbé la chaîne de valeur et la production comme la R&D sont désormais implantées là-bas. On fait ce qu’on peut pour soutenir les acteurs européens et leurs projets de réindustrialisation, comme Voltec Solar, SMA, Fronius, Nexans…
En dépit de notre important retard, notamment en R&D, nous avons lancé, en 2024, des "shelters plug and play" (voir photo), intégralement précâblés en usine et sourcés à 100% en Europe, voire en France. BayWa est en outre signataire de l’Induscore (un projet de qualification visant à valoriser la production européenne de panneaux PV mais qui n'a pas encore abouti, NDLR) et du Pacte solaire (lancé en avril 2024 et qui combine des engagements de l'État et des industriels, NDLR).
Mais je pense que la valeur ajoutée d’une installation solaire ne réside pas que dans les panneaux, il faut aussi penser au reste de la chaîne. Aussi, avant d’injecter des milliards d'euros dans la fabrication de panneaux, il faudrait déjà permettre à des sociétés de pouvoir simplement survivre. Idem pour le segment des batteries. Une réorientation des politiques industrielles en la matière est sans doute à envisager.
Comment abordez-vous 2025 ?
J. C. : Nos perspectives sont plutôt bonnes et nous restons positifs. On espère que le résidentiel va se stabiliser et que les moyennes toitures vont continuer à croître. Nous avons une belle structure, active depuis neuf ans, et qui propose une importante offre de services pour accompagner les installateurs.
BayWa est l'un des plus importants distributeurs européens et dispose à ce titre d'une des plus importantes puissances d’achat européennes. Tous les fabricants veulent donc travailler avec nous, ce qui nous permet de sélectionner les meilleurs et de négocier avec eux le rapport qualité-prix-service le plus optimal.