Pourquoi le jumeau numérique peut jouer un "rôle clé" dans le cycle de vie d'un bâtiment

Se baser sur la version virtuelle d'un bâtiment pour améliorer les performances de sa version réelle : telle est l'ambition du jumeau numérique, qui, en permettant la simulation et l'analyse en temps réel, et en aidant ainsi à la décision, peut permettre aux bâtiments d'améliorer leurs performances énergétiques et d'optimiser leurs ressources.
Dans le cadre d'un webinaire organisé par la Digital Twin Alliance, plusieurs professionnels ont eu l'occasion de partager leurs retours d'expérience sur l'usage du jumeau numérique dans l'exploitation des ouvrages et infrastructures, mettant en valeur à la fois leurs atouts mais aussi leurs limites.
Pour commencer, de quoi parle-t-on exactement ? "Un jumeau numérique va faire un lien entre le monde réel et un monde virtuel, il va ouvrir des brèches pour répondre à un besoin car il peut couvrir de nombreux champs de compétences. S'il s'agit de mesure, il va par exemple pouvoir aider un industriel", explique Amira Ben Hamida, coordinatrice du programme des jumeaux numériques industriels à l'Institut de recherche technologique (IRT) SystemX.
"Dès le départ, nous travaillons sur les KPI du client (coût, bilan carbone…) puis on oriente les jumeaux numériques vers ces KPI."
- Amira Ben Hamida, coordinatrice du programme des jumeaux numériques industriels à l'IRT SystemX
"Nous accompagnons nos clients sur cette aide à la décision et nous formalisons la méthodologie sous la forme d'un 'book of knowledge' ou d’un site Internet, avec une publication ouverte et une plateforme open source pour capitaliser tous les retours d’expérience." De nombreuses bases de données publiques ont ainsi été agrégées, comme celle de l'Insee (Institut national de la statistique et des études économiques).
"Au fur et à mesure du phasage des projets, on apprend et on transmet à l’ensemble des parties prenantes les standards et les bonnes manières de faire. Dès le départ, nous travaillons sur les KPI (indicateurs clés de performance) du client (coût, bilan carbone…), puis nous orientons les jumeaux numériques vers ces KPI", détaille Amira Ben Hamida.
Collecter et analyser les données pour mieux anticiper
Saint-Gobain, entre autres, a eu recours au jumeau numérique pour sa tour située à La Défense. "On avait préparé un cahier des charges spécifique et intégré la maquette numérique dans l’appel d’offres de l’exploitant du site, d’où l’intégration d’une personne spécifique au sein de l’équipe exploitation pour prendre en compte la maquette numérique dans l’exploitation du bâtiment", relate le directeur technique et innovation du groupe, Stéphane Patrix.
Un chantier étant "très siloté", les attentes peuvent être différentes en fonction des équipes. Mais dans le cas présent, "une certaine continuité a été assurée par le jumeau numérique". Les acteurs de la R&D peuvent également utiliser ces informations dans le cadre de leurs travaux. "C’est un outil central qui a joué un rôle clé dans les modifications de l'organisation du travail liées au Covid. Le fait d’avoir densifié la tour a permis de réaliser des économies", appuie le responsable.
"En centralisant un maximum de solutions autour de la maquette numérique, on a pu mettre en lien la GTB et la GTMAO."
- Stéphane Delevacque, responsable ingénierie Bim chez Saint-Gobain
"Le jumeau numérique de la Tour Saint-Gobain est constitué de 107 maquettes, chaque corps d’état étant divisé en cinq maquettes spécifiques (une maquette plomberie, une maquette charpente…). Tous les équipements ont été modélisés", illustre Stéphane Delevacque, responsable ingénierie Bim chez Saint-Gobain. "En centralisant un maximum de solutions autour de la maquette numérique, on a pu mettre en lien la GTB (gestion technique du bâtiment) et la GTMAO (gestion de maintenance assistée par ordinateur)."
Le cas d'usage le plus emblématique est le "ticketing" (billetterie) : les utilisateurs peuvent signaler depuis leur ordinateur ou leur téléphone un problème (plomberie, électricité…) en remplissant un formulaire envoyé directement à l’équipe en charge de la maintenance, qui peut ensuite visualiser en 3D le bâtiment afin de localiser le problème, tout en consultant les plans et fiches techniques pour intervenir plus rapidement et efficacement. "Actuellement, on est à plus de 12.800 tickets enregistrés par l’exploitant Spie Facilities", reprend Stéphane Delevacque.
Autre cas d’usage : la gestion du confort (stores…) et de la consommation d’énergie. "Dans ce cas, on va remonter davantage d’informations de la GTB (compteurs d’eau et d'électricité, vannes de trémies…), ce qui représente 32.000 données collectées toutes les 5 minutes et historisées. Ces infos sont ensuite analysées pour anticiper d’éventuels problèmes de fuite, par exemple, et permettent aux équipes d'intervenir plus rapidement au bon endroit."
Visite virtuelle des ouvrages
EDF recourt lui aussi au jumeau numérique pour modéliser et optimiser la gestion de ses réseaux électriques intelligents et de son parc de centrales, dans l'optique d'anticiper les variations de charge. L'électricien national l'utilise également pour simuler des scénarios d'exploitation et pour améliorer la résilience du système énergétique dont il a la charge. "Cela nous permet de faire de la maintenance prédictive", explique Romain Denefle, chef de projet R&D chez EDF.
Sur les sujets pour lesquels l'énergéticien manque de données, la solution consiste alors à "créer de la data" en effectuant un grand nombre de simulations. Utilisé pour une application industrielle, le jumeau numérique se voit appliquer une notion de rentabilité. "Chez EDF, on a une démarche étagée : une fois le besoin du client identifié, on l’accompagne pour affiner son projet, on se dote de démonstrateurs pour tester des cas d’usage sur des sous-ensembles du processus, puis on échelonne cette mise en place", illustre Romain Denefle.
"Nos connaissances patrimoniales s'enrichissent grâce à ce programme, qui nous permet aussi de savoir comment mieux investir vis-à-vis de la courbe de survie de ces équipements."
- Nicolas Guillemaud, direction de l'ingénierie et du patrimoine chez Eau de Paris
Eau de Paris recourt également au jumeau numérique pour digitaliser le linéaire de son réseau, dont 80% sont constitués d'ouvrages visitables avec des galeries techniques. Les cas d'usage consistent ici à réaliser un géoréférencement précis pour limiter la sinistralité du réseau ou à mettre en œuvre une visite virtuelle des ouvrages présentant des risques (physiques, sanitaires…) en vue de limiter les interventions.
"Nos connaissances patrimoniales s'enrichissent grâce à ce programme, qui nous permet aussi de savoir comment mieux investir vis-à-vis de la courbe de survie de ces équipements, en évitant par exemple de remplacer un tronçon complet alors que seule une partie doit être remplacée", illustre Nicolas Guillemaud, de la direction de l'ingénierie et du patrimoine chez Eau de Paris.
Prudence sur l'interopérabilité et la cybersécurité
Si les atouts du jumeau numérique semblent donc réels, tous les intervenants ont malgré tout appelé à la vigilance sur un certain nombre de freins. "L’interopérabilité, la cybersécurité et plus largement la difficulté de l’ingénierie des jumeaux numériques peuvent représenter des difficultés, d'où l'intérêt de s'entourer de développeurs, modéliseurs et experts en données", relève Amira Ben Hamida.
Romain Denefle met lui aussi en garde : "Il faut bien identifier les besoins avant la mise en place du jumeau numérique. Tout dépend de ce que l’on en fait et de ce que l’on vise. Et l’humain a encore sa place ! Il y a quelques années, on avait des jumeaux numériques très IA-centrés, mais on voit de plus en plus l’humain revenir dans son fonctionnement."
"Il faut avoir une volonté globale d’intégrer cette maquette dans tout le cycle de vie du projet."
- Stéphane Patrix, directeur technique et innovation de Saint-Gobain
Chez Eau de Paris, on reconnaît que "ce sont des programmes complexes à mettre en œuvre, surtout dans un fonctionnement existant, et l’acquisition des données sur le terrain est compliquée car on connaît mal les ouvrages, donc cela implique un travail minutieux de recherche et de cartographie", nuance Nicolas Guillemaud.
Pas simple non plus d'acquérir ces données dans un environnement contraint. Les scans et maquettes d'un patrimoine spécifique peuvent en outre contenir "beaucoup d’occlusions, à affiner au fur et à mesure de nos livrables, en définissant le juste niveau de détail pour adresser les cas d’usages et l’interopérabilité dans un cadre existant". Embarquer toutes les équipes du projet dès le début de l'utilisation du jumeau numérique contribue également à l’acceptation de la démarche, souligne Nicolas Guillemaud.
"Il faut avoir une volonté globale d’intégrer cette maquette dans tout le cycle de vie du projet", complète Stéphane Patrix. L'enjeu est de "bien cadrer les choses dès le départ pour savoir ce qu’on veut en faire après, anticiper et arriver à tout intégrer dans les maquettes pour qu’elles puissent immédiatement rentrer en exploitation", embraye Stéphane Delevacque. À en croire le directeur technique et innovation de Saint-Gobain, les avantages du jumeau numérique l'emporteraient néanmoins sur ses inconvénients : "Il ne faut pas avoir peur, il faut y aller !", conclut-il.
Lire aussi
-
Déjà adeptes de l'IA, les bureaux d'études n'en éludent pas pour autant les risques
-
Dans le tertiaire, moderniser l'éclairage représente "un potentiel de transformation énergétique considérable"
-
Efficacité énergétique, émissions, confort : comment les Bacs peuvent contribuer à la transition du tertiaire
-
Un partenariat pour mieux connaître le parc bâti et l'adapter au changement climatique
Sélection produits
Contenus qui devraient vous plaire

- Actual Paris Bâtiment 256
Technicien chauffagiste (H/F)

- Egis Group