Consommation d'électricité, poids carbone : ce que l'IA pourrait (vraiment) changer dans le secteur de l'énergie

Par   Corentin PATRIGEON

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Publié le 16 avril 2025
Crédit photo iStock/Oselote
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ANALYSE. Un nouveau rapport de l'Agence internationale de l'énergie met en garde sur la hausse de la consommation d'électricité induite par l'explosion des usages de l'intelligence artificielle et donc des centres de données. Les acteurs de l'énergie dans le bâtiment poussent pour massifier les solutions de flexibilité.

Utiliser l'intelligence artificielle, pourquoi pas, mais à quel coût énergétique ? Dans un nouveau rapport paru en ce mois d'avril 2025, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) estime que l'explosion des usages de l'IA va probablement chambouler le secteur de l'énergie dans les dix années qui viennent, en augmentant le nombre de data centers et donc la facture d'électricité qui va avec. Le tableau ne serait néanmoins pas tout noir, à en croire l'agence.

Dans un premier temps, celle-ci prévoit que la demande mondiale d'électricité émanant des centres de données devrait plus que doubler d'ici à 2030, pour atteindre environ 945 térawattheures, soit légèrement plus que la consommation d'électricité actuelle du Japon. ChatGPT et consorts devraient être à l'origine de cette croissance puisque la demande d'électricité des data centers optimisés pour l'IA devraient quant à eux plus que quadrupler à la même échéance.

Dans les économies avancées, les centres de données pourraient contribuer à plus de 20% à la hausse de la demande d'électricité d'ici à la fin de la décennie, rétablissant du même coup la croissance du secteur de l'électricité qui connaît depuis des années une stagnation, voire une baisse d'activité. D'après l'AIE, le panel de sources d'énergie mobilisées pour répondre aux besoins en électricité des data centers devrait être assez large, bien que les énergies renouvelables et le gaz naturel pourraient se tailler la part du lion, du fait de leur compétitivité et de leur disponibilité.

L'innovation photovoltaïque favorisée par l'IA

"L'IA est l'un des enjeux majeurs du monde de l'énergie d'aujourd'hui, mais jusqu'à présent les décideurs politiques et les marchés manquaient d'outils pour en appréhender pleinement l'ampleur. Avec l'essor de l'IA, le secteur de l'énergie est à l'avant-garde de l'une des révolutions technologiques les plus importantes de notre époque", a commenté Fatih Birol, le directeur exécutif de l'AIE. Mais paradoxalement, cette révolution pourrait intensifier les tensions liées à l'approvisionnement énergétique, tout en contribuant à résoudre d'autres problèmes.

La cybersécurité en est un exemple : les attaques informatiques dirigées contre des entreprises et services publics de l'énergie ont triplé durant les quatre dernières années et se sont sophistiquées à cause de l'IA, mais dans le même temps l'IA est devenue un outil essentiel pour se défendre contre de tels risques. En revanche, la demande croissante de minéraux et métaux critiques utilisés dans les centres de données préoccupent les auteurs du rapport, qui soulignent que l'offre mondiale est aujourd'hui très concentrée, Chine en tête.

"Le secteur de l'énergie façonne l'avenir de l'IA, et l'IA façonne l'avenir de l'énergie."

- Fatih Birol, directeur exécutif de l'AIE

L'AIE se veut également rassurante sur le plan environnemental. L'augmentation de la demande d'électricité pour les data centers devrait mécaniquement entraîner une hausse des émissions de gaz à effet de serre, mais elle assure que cette hausse "sera faible au regard du secteur énergétique global", et qu'elle pourrait même "être compensée par les réductions d'émissions permises par l'IA si l'adoption de cette technologie se généralise".

Une perspective qui serait même souhaitable si l'on en croit les spécialistes, qui expliquent que l'IA est de plus en plus corrélée à la R&D et qu'elle permet d'accélérer l'innovation "dans les technologies énergétiques telles que les batteries et le solaire photovoltaïque". Fatih Birol résume la situation en affirmant que "le secteur de l'énergie façonne l'avenir de l'IA, et que l'IA façonne l'avenir de l'énergie".

Pour que cette relation soit mutuellement bénéfique, son agence appelle malgré tout les pays souhaitant tirer parti du potentiel de l'IA à faire passer leurs investissements dans la production d'électricité et les réseaux à la vitesse supérieure, notamment en améliorant l'efficacité et la flexibilité énergétiques.

Appétit électrique

Des recommandations qui rejoignent le constat dressé par le Gimelec (Groupement des entreprises de la filière électronumérique française) dans son livre blanc sur la contribution des centres de données dans la souplesse du système électrique français, paru en novembre 2024.

Présentés comme "la clé de voûte des services numériques que nous utilisons tous au quotidien", les data centers voient leur nombre et leur taille augmenter en France. Le document souligne leurs efforts en matière d'efficacité énergétique mais aussi leur "appétit croissant pour 'la puissance électrique'" - passée de 235 mégawatts en 2016 à 566 MW en 2022 -, dans un contexte global d'électrification des usages.

Et le phénomène devrait se poursuivre : les auteurs du livre blanc tablent sur une hypothèse moyenne de 3.690 MW de puissance installée en 2035, "soit l'équivalent de 3 fois la consommation actuelle d'électricité de la SNCF". Pour autant, les centres de données disposeraient de "leviers technologiques" pour augmenter ou diminuer leur consommation d'électricité, voire en injecter dans le réseau.

Plusieurs obstacles à la massification

"Cette flexibilité présente de nombreux avantages clés : des raccordements au réseau plus rapides et moins chers, une électricité moins chère, moins de CO2 émis. Pour le réseau électrique, c'est un levier supplémentaire de résilience et d'optimisation de ses investissements", plaide le Gimelec. Selon les projections du groupement, l'ensemble des potentiels de flexibilité pour les data centers s'élèverait en moyenne à 2.140 MW à horizon 2035, support en fréquence et tension mis à part.

Les solutions existent donc déjà mais leur massification est soumise à la levée de plusieurs obstacles, "qui relèvent de l'organisation actuelle du monde des data centers et son environnement". La filière, qui appelle de ses vœux une convergence des pratiques du marché et du cadre réglementaire, estime qu'un "véritable effort collaboratif est nécessaire de la part des opérateurs de data centers, de leurs clients, des opérateurs de réseaux électriques et du régulateur".

Le directeur des affaires publiques et délégué data centers du Gimelec, Joël Vormus, a complété dans un message publié sur LinkedIn : "En résumé : l'IA peut (doit) être un levier de décarbonation, mais elle n'exonère absolument pas d'un effort global structurant".


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