"La France, avec ses infrastructures gazières de premier plan, a de quoi assurer sa souveraineté énergétique"

Par   Corentin PATRIGEON

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Publié le 4 avril 2025
Crédit photo France Gaz/Coénove
Frédéric Martin, président de France Gaz (à gauche), et Jean-Charles Colas-Roy, président de Coénove.
TRANSITION. Dans un entretien à XPair, les présidents de France Gaz, Frédéric Martin, et de Coénove, Jean-Charles Colas-Roy, pèsent les pour et contre de la PPE3 et avancent leurs propositions pour décarboner le bâtiment. S’estimant lésé par un "biais électrocentré", le gaz veut prouver sa capacité à verdir sa production.

Alors que la consultation publique sur la troisième version de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) s’achève, XPair s’est entretenu avec les présidents de France Gaz, Frédéric Martin, et de Coénove, Jean-Charles Colas-Roy pour prendre le pouls des gaziers dans un contexte énergétique incertain.

Les deux représentants s’expriment également sur la hausse de la TVA sur les chaudières gaz et la relative stabilité du budget de la rénovation énergétique. Ils présentent enfin les atouts de l’industrie gazière française face aux enjeux de souveraineté industrielle et font le point sur le développement des filières de gaz renouvelables.

XPair : Comment se positionne l’industrie gazière française sur le projet de PPE3 ?

Frédéric Martin : Cette PPE3, on l’attend de longue date. On ne peut que se réjouir de la sortie d’un texte qui essaye d’éclaircir la politique énergétique du pays. Initialement, la PPE devait aider à développer les nouvelles filières mais les choses ont changé depuis, et la souveraineté énergétique est devenue un sujet central. Le contexte budgétaire a lui aussi changé et on est déjà en retard sur nos objectifs climatiques.

Il y a un peu plus de neutralité technologique dans le sens où la dernière version de la PPE parle davantage des autres énergies que l’électricité, comme la chaleur et les biogaz, qui sont absolument indispensables au système énergétique français et européen.

Le texte mentionne l’augmentation de la volumétrie de production du biogaz à l’échéance 2030, avec un objectif de 44 térawattheures, plus 6 TWh en cogénération. Nous sommes un peu plus critique sur l’échéance 2035 ; de notre côté nous envisageons au minimum 85 TWh, voire plus si la pyrogazéification progresse.

Nous déplorons cependant la persistance de cette fâcheuse tendance à considérer que c’est la chaudière qui est fossile, alors que c’est le combustible qu’on met dedans. La France verdit progressivement sa production de gaz, et les élus locaux sont très soucieux d’avoir des réseaux, non plus seulement de distribution, mais aussi de valorisation énergétique des déchets. On est en train d’industrialiser la France avec la production des gaz verts !

Le réseau gazier national est par ailleurs très résilient sur le plan du changement climatique : ses infrastructures n’ont pas de problème de température, de matériau, d’exposition au feu ou au vent… C’est un réseau qui n’a pas besoin d’être renforcé. En termes d’investissement, on table sur 15 milliards d’euros entre aujourd’hui et 2050, ce qui est extrêmement faible en comparaison aux investissements prévus par RTE et Enedis pour le réseau électrique.

Jean-Charles Colas-Roy : On regrette que la PPE ne soit pas étudiée au Parlement car cela aurait donné un cadre juridique plus solide et un débat politique plus ambitieux. Nous appelons de nos veux une PPE de la rénovation pour remédier à l’instabilité des subventions et de l’attentisme des consommateurs. Dans le texte actuellement soumis à consultation publique, on salue l’objectif 2030 des biogaz mais on ne comprend pas l’objectif 2035, qui ne tient pas compte de la dynamique de la méthanisation.

Il y a un biais trop électrocentré. Dépendre trop fortement d’un seul vecteur énergétique peut être dangereux, surtout dans le bâtiment qui est fortement thermosensible et génère des pointes électriques hivernales. Pour renforcer notre système énergétique, il faut diversifier nos vecteurs, avoir des électrons décarbonés et des molécules qui se verdissent.

"Nous déplorons la persistance de cette fâcheuse tendance à considérer que c’est la chaudière qui est fossile, alors que c’est le combustible qu’on met dedans."

- Frédéric Martin, président de France Gaz

 

Quelle est votre réaction à la hausse de TVA sur les chaudières gaz ?

J.-C. C.-R. : On regrette cette augmentation de fiscalité qui pèse sur les 3,5 millions de ménages qui n’ont pas d’autre alternative performante que d’avoir une chaudière gaz, or rajouter une taxation supplémentaire alors même qu’il y a des enjeux sur le pouvoir d’achat est un très mauvais signal. Cela favorise la réparation au-delà du raisonnable des vieux appareils et ne favorise pas la baisse de la consommation attendue.

Les pouvoirs publics auraient plutôt intérêt à favoriser le changement des vieux appareils vers des équipements modernes. C’est un regard de court terme qui ne prend pas en compte le marché du bâtiment dans son ensemble. En 2024, il manquait 100.000 à 150.000 renouvellements d’appareils ! Au lieu d’investir dans des appareils plus performants, on accentue les contraintes des consommateurs et on aggrave les difficultés du bâtiment.

F. M. : Nous pensions raisonnable de passer à 10% de TVA pour les appareils classiques. Mais à 20%, il y a un risque élevé de travail au noir, alors qu’on a une filière professionnelle capable de répondre présente, et ainsi de développer une économie souterraine reposant sur des spécialistes peu, voire pas qualifiés.

Attention aux effets de balancier quand on mesurera dans quelques mois ou années l’impact de cette fiscalité. Sur ce point, je rappelle d’ailleurs que s’il n’y a pas de gaz, il n’y a plus d’électricité non plus... Le fait de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier est la meilleure solution pour faire face à la volatilité des prix.

 

Après de nombreuses modifications, Ma prime rénov’ semble faire l’objet d’une certaine stabilisation

J.-C. C.-R. : L’écart entre certaines baisses de dotations ou diminutions d’enveloppes, et le maintien d’objectifs ambitieux qui semblent de moins en moins atteignables, est regrettable.

C’est pourquoi nous demandons un rehaussement des aides dédiées à l’isolation des bâtiments pour limiter les déperditions et au bon dimensionnement des appareils. Sur la durée de vie d’un nouvel équipement 100% compatible gaz verts, type chaudière THPE (très haute performance énergétique) ou Pac hybride, la performance peut diminuer s’il est mal entretenu.

F. M. : On doit continuer à soutenir la rénovation énergétique mais il faut aussi lutter contre la fraude et simplifier, notamment les visites de contrôles. Je précise que les gaziers contribuent financièrement aux CEE (certificats d’économie d’énergie) alors qu’ils n’en bénéficient plus du tout.

Ce qui est absolument anormal, car je ne vois pas pourquoi on fait le distinguo, alors que les Français veulent se décarboner, entre des équipements qui bénéficient des aides, et d’autres qui n’y ont pas droit. Cette stigmatisation du client gaz est absolument dépassée. Il faut pouvoir aider toute personne qui veut baisser sa consommation.

"On a tout à gagner à faire confiance aux artisans, aux installateurs et aux mainteneurs qui sont les plus à même à connaître les solutions correspondant aux aspirations de leurs clients."

- Jean-Charles Colas-Roy, président de Coénove

À ce sujet, nous ne sommes pas favorables à l’implémentation d’un critère carbone dans les CEE – on a vu le résultat avec l’intégration d’une composante carbone dans le DPE (diagnostic de performance énergétique). Il faut dissocier le bâtiment, l’appareil et le combustible. Si on veut réduire la consommation d’énergie, il faut aider les particuliers à bien s’isoler, pousser les gestes simples, viser la performance des appareils.

J.-C. C.-R. : C’est un schéma en quatre temps : baisser d’abord les déperditions du bâtiment permet ensuite de bien dimensionner les équipements énergétiques, puis on complète par un verdissement du vecteur et enfin un bon entretien de l’installation.

 

Quels sont aujourd’hui les atouts de l’industrie gazière pour justifier sa capacité de décarbonation ?

F. M. : L’industrie gazière mise beaucoup sur la pyrogazéification et la gazéification hydrothermale car elles offriront la possibilité à nos territoires de maîtriser leurs flux, mais cela implique de laisser la liberté de choix aux acteurs. Tout le monde est d’accord pour se décarboner mais il ne faut pas imposer de solutions. Interdire les chaudières gaz ne résoudra pas le problème de la décarbonation, il vaut mieux offrir le choix avec un panel de solutions décarbonées.

J.-C. C.-R. : Partir de 14 TWh de production de biogaz aujourd’hui, et viser 50 à 60 TWh en 2030, puis 120 TWh en 2035, c’est en réalité maintenir l’effort de développement actuel. Le sujet, c’est plutôt d’instaurer de la progressivité car la transition se fera de manière progressive et pragmatique.

Dans notre industrie, on a l’avantage d’avoir des acteurs de rang mondial ainsi que des réseaux déjà capables d’accueillir tous les types de molécules. Dans les Hauts-de-France, 1,3 million de clients sont en train de changer de type de gaz : on les bascule du gaz naturel au biométhane, et cela en utilisant les mêmes infrastructures !

 

Les évènements géopolitiques de ces dernières années ont certainement démontré l’intérêt d’une diversification des vecteurs énergétiques et des sources d’approvisionnement…

J.-C. C.-R. : D’ici à 2038, il y aura un fort développement des énergies renouvelables électriques intermittentes (éolien, solaire…), ce qui va créer des problématiques de gestion de cette intermittence. Dans l’intervalle, il est important d’avoir des vecteurs stockables, et le gaz en est un avec ses réserves stratégiques, qui constituent un atout majeur pour la sécurité d’approvisionnement du pays et de tout autre aléas.

L’énergie stockable est importante, on parle beaucoup de flexibilité mais on l’aborde avec des stockages sur batteries alors que la vraie flexibilité est inter-saisonnière : on stocke au printemps et on restitue en hiver. Et cette flexibilité, seules les molécules vertes nous l’apporteront.

F. M. : Je suis assez étonné d’observer la vision très mono-énergie qui s’est imposée depuis la crise ukrainienne. On s’est pourtant rendu compte depuis qu’on ne pouvait pas fonctionner sans gaz et qu’il vaut mieux le produire soi-même.

Sur le terrain, les consommateurs expliquent avoir besoin de toutes les énergies, surtout quand on sait que 70% des processus industriels ne sont pas électrifiables. Alors plutôt que de contraindre, on est dans une logique d’offrir des solutions. Notre filière est par nature dynamique car historiquement on a toujours dû s’adapter à la concurrence. Il faut laisser le client choisir son énergie et sa technologie !

J.-C. C.-R. : Dans le bâtiment, neutralité technologique signifie diversité des vecteurs et pluralité des solutions de chauffage. La pompe à chaleur hybride illustre bien cette fameuse alliance des électrons et des molécules pour produire de l’énergie décarbonée.

Quand on mixe ces solutions, cela donne un avantage concurrentiel aux industriels français et européens car c’est une technologie maîtrisée localement, là où la Pac est plutôt maîtrisée par les fabricants asiatiques. On a tout à gagner à faire confiance aux artisans, aux installateurs et aux mainteneurs qui sont les plus à même à connaître les solutions correspondant aux aspirations de leurs clients.

"L’Europe est en train de revenir de ses politiques pro-Pac et elle prend conscience du coût des investissements dans les réseaux électriques. On retrouve du pragmatisme et c’est une bonne chose."

- Frédéric Martin, président de France Gaz

 

Où en est le développement des filières de gaz renouvelables ?

F. M. : La pyrogazéification et la gazéification hydrothermale sont les deux filières de la prochaine décennie. Si on ne se prépare pas, on dépendra d’acteurs étrangers pour des technologies permettant de valoriser nos propres déchets.

Avoir des financements pour des expérimentations est un moyen pour ces filières de se mettre à niveau ; on a tendance à dire qu’elles ne sont pas matures, et sur le plan technique, oui il faut accepter d’essuyer les plâtres. Mais quand on voit l’effort budgétaire de leur mise en place et le gain économique à long terme, je réponds qu’il faut savoir viser loin et savoir pourquoi on travaille.

Une cinquantaine de projets de pyrogazéification sont dans le bac à sable de la CRE (Commission de régulation de l’énergie), 25 projets de gazéification hydrothermale sont portés par Natran. Donc on progresse, et sur le terrain les acteurs sont prêts à lancer des prototypes. Ces technologies sortiront avant 2030, ce qui est important car après la méthanisation, il est essentiel de ne pas prendre de retard et de maintenir la compétitivité de nos industriels.

La filière travaille aussi sur l’hydrogène qui est une molécule bas-carbone intéressante, mais c’est le coût de l’acquisition qui pose problème. Plus de 90% du réseau sont compatibles à l’hydrogène.

La filière collabore avec les industriels pour acheminer de l’hydrogène sur les plateformes. Nous contribuons à l’élaboration des textes, nous restons informés de l’actualité et nous effectuons une veille technologique. Aucune solution n’est donc exclue.

J.-C. C.-R. : Nous souhaitons que l’hydrogène soit majoritairement produit en France, ce qui correspond aussi à la consommation d’électricité que la filière électrique réclame, plutôt que d’électrifier d’autres usages plus coûteux et pas forcément efficaces.

Le gaz a la capacité de verdir l’intégralité de son secteur en 20 ans. L’idée est de continuer à marcher sur nos deux jambes : l’amélioration des équipements, avec les chaudières THPE et les Pac hybrides favorisant les industriels européens, et la décarbonation de nos molécules.

F. M. : Vu le contexte mondial actuel, notre objectif est de favoriser la production sur le sol européen, en introduisant plus de souplesse dans l’équilibre technologique et en favorisant les incitations plutôt que les interdictions.

L’Europe est en train de revenir de ses politiques pro-Pac et elle prend conscience du coût des investissements dans les réseaux électriques. On retrouve du pragmatisme et c’est une bonne chose. La France, avec ses infrastructures gazières de premier plan, a de quoi assurer sa sécurité d’approvisionnement et sa souveraineté énergétique.


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