Décarbonation : pourquoi la Pac, "pierre angulaire de la stratégie industrielle", achoppe

Par   Corentin PATRIGEON

Actualités
Publié le 1 avril 2025
Crédit photo Corentin Patrigeon pour XPair
De droite à gauche : Valérie Mancret-Taylor, directrice générale de l'Anah ; Adrien Thirion, sous-directeur adjoint à la DGE ; Christian Buchel, président de l'UFE ; Diane Simiu, directrice du climat à la DGEC ; et François Deroche, président de l'Afpac.
ÉLECTRIFICATION. Si elle a déjà quelques atouts à faire valoir, la pompe à chaleur a encore de nombreux freins à lever pour s'imposer sur le front de la décarbonation. La filière demande une visibilité réglementaire et s'attelle à mieux former ses professionnels, tandis que l'État cherche à rentabiliser ses dispositifs de soutien tout en relocalisant la production. Sans oublier de lutter contre les idées reçues.

Quelle place pour la pompe à chaleur à l'heure où la dernière version en date de la PPE 3 (Programmation pluriannuelle de l'énergie) est en consultation publique ? Assurément large et confortable, si l'on en croit les spécialistes qui se sont succédé à la tribune de la Matinale de la Pac, organisée ce 1er avril 2025 par l'Afpac (Association française pour les pompes à chaleur) au lycée Raspail, dans le XIVe arrondissement de Paris.

Les pouvoirs publics tentent de trouver le bon équilibre entre l'électrification du bâtiment à accélérer et sa consommation finale d'énergie à contenir. La crise de l'énergie engendrée par la reprise post-Covid et la guerre en Ukraine est certes révolue, mais elle a été remplacée, selon les mots d'Andreas Rüdinger, par "une crise des transitions".

"Toutes les politiques de transition ont été autoporteuses, parce qu'il y a derrière des enjeux géopolitiques, industriels, économiques et financiers… On a de nouveau une baisse des prix de l’énergie, la crise semble être derrière nous. Mais en 2024, l'incertitude politique a fait chuter les ventes de Pac de 22% sur les marchés leaders en Europe", analyse le coordinateur de la transition énergétique en France de l'Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales).

Trouver une solution technique pour chaque bâtiment

"Tant qu’on n’aura pas des politiques crédibles pour des prix de l’électricité compétitifs et stables, on n’y arrivera pas." Il pointe aussi la "dimension politique" du combat anti-Pac mené par une partie des consommateurs et de la classe politique. D'après lui, "on parle tellement du 'backlash' (retour de bâton) écologique que c’est en train de devenir une prophétie autoréalisatrice".

Pour y remédier, Andreas Rüdinger propose de "mettre en cohérence les signaux économiques, ce qui, dans le bâtiment, signifie de trouver un équilibre entre les prix de l’élec et du gaz, et d'avoir un débat d’ensemble sur la fiscalité de l’énergie pour garantir la stabilité des prix à l’avenir". Il invite également à "reposer la question de l'interdiction progressive des chaudières fossiles" et à "dépasser le débat traditionnel gestes simples VS rénovations globales".

Sur les Pac en particulier, "il faut réfléchir au narratif" et "donner des signaux de portage politique pour construire une industrie européenne", alors que l'objectif d'un million de Pac produites chaque année en France a été brandi par les pouvoirs publics. En complément, le coordinateur de l'Iddri juge nécessaire de "proposer des solutions techniques claires pour l’ensemble des typologies de bâtiment et savoir quelle place on veut donner aux Pac air-air, qui sont à ce jour le marché le plus résilient et autoporteur - il n’a jamais eu besoin de subventions pour tourner".

Ne plus dépendre des combustibles fossiles

Autant de pistes de réflexion qui ont servi à alimenter les échanges d'une table ronde consacrée au rôle des solutions Pac dans la neutralité carbone. Sur ce point, nul besoin évidemment de convaincre François Deroche : "La Pac apporte un vrai gain pour la décarbonation en baissant de 70% les émissions de gaz à effet de serre et en décarbonant dix fois plus vite que l’isolation ; en installer une dès que possible représente le geste le plus efficace pour décarboner", plaide le président de l'Afpac.

Sa capacité de décarbonation des usages de l’eau chaude sanitaire, notamment dans le neuf, et sa "division par deux" des factures d'énergie des ménages justifieraient pourquoi le Gouvernement leur a consacré des plans stratégiques. Aux yeux de l'État, la priorité absolue est de "nous libérer de la dépendance des énergies fossiles, importées à 70%", affirme Diane Simiu, directrice du climat, de l'efficacité énergétique et de l'air à la DGEC (Direction générale de l'énergie et du climat).

"D’ici à 2030, la PPE doit nous permettre de réduire cette dépendance d’un tiers, avec comme enjeu majeur la décarbonation de la chaleur." Parallèlement au développement des Pac, les autorités veulent "diviser par 4 les ménages chauffés au fioul et sortir progressivement du gaz", développer les Pac en habitat collectif ou encore contribuer à la création du Centre d’expertise sur la Pac (Cepac), dont l'inauguration est prévue courant 2025, avec le soutien de l'État.

L'État cherche son retour sur investissement

"Le plan Pac est une pierre angulaire de notre stratégie industrielle", abonde Adrien Thirion, sous-directeur adjoint des matériels de transport, de la mécanique et de l'énergie à la DGE (Direction générale des entreprises). Selon le haut-fonctionnaire, cette politique repose sur deux piliers : "le déploiement des matériels permettant la transition écologique et énergétique, et la production française ou européenne de ces matériels pour éviter de créer une nouvelle dépendance".

Le soutien de l'État à la R&D et à la résilience de la chaîne de valeur des Pac se traduit notamment par le crédit d’impôt au titre des investissements dans l’industrie verte (C3IV). La rénovation constitue un levier complémentaire, que l'Anah (Agence nationale de l'habitat) tente d'actionner du mieux qu'elle peut.

"La Pac est un levier majeur de disruption de la politique énergétique."

- Christian Buchel, président de l'UFE

"Notre objectif, c’est que les ménages puissent décarboner leur logement et qu’ils puissent le mettre à niveau en termes de confort", rappelle sa directrice générale, Valérie Mancret-Taylor. Au travers des deux parcours de rénovation qu'elle propose (les mono-gestes et les rénovations globales), l’Anah "ne finance évidemment aucune autre énergie que l’énergie décarbonée, donc forcément c’est la Pac qui va arriver au premier poste d’équipement en matière de travaux sollicités pour des financements".

Et, en France, qui dit énergie décarbonée dit électricité. "La Pac est un levier majeur de disruption de la politique énergétique", assène Christian Buchel, président de l'UFE (Union française de l'électricité). Pour lui, "le sujet, c’est la substitution des énergies décarbonées, comme notre électricité, aux combustibles fossiles", avec un slogan parodique à la clé : "Make electricity great again".

La filière électrique en manque de visibilité

En attendant, la baisse du marché des Pac est bien là, et impacte aussi bien la France que le reste de l'Europe. Les causes sont multiples : la volatilité des prix de l’énergie, qui réduit la compétitivité de l’électricité par rapport au gaz ; une baisse des aides publiques, qui fragilise la capacité des ménages à financer leurs installations ; et une instabilité réglementaire, qui freine les décisions d’investissement.

"Pour relancer le marché, on a besoin de stabilité réglementaire et d’une visibilité à long terme des dispositifs gouvernementaux", exhorte François Deroche, qui préconise aussi que "la rénovation d’ampleur puisse être accompagnée par étapes successives pour prendre en compte les contraintes des ménages". Quoi qu'il en soit, le dirigeant de l'Afpac juge l'objectif du doublement du parc d’ici à 2030, suivi de son triplement d’ici à 2035, "réaliste et atteignable".

"On n'a pas réussi à créer quelque chose qui fonctionne en matière de ratio impact carbone/impact productiviste pour les Pac."

- Adrien Thirion, sous-directeur adjoint des matériels de transport, de la mécanique et de l'énergie à la DGE

L'enthousiasme est moins de mise chez les électriciens. En matière réglementaire, "le 'stop and go' est une catastrophe" aux yeux de Christian Buchel. "L’absence de cadre clair, pour l'amont comme pour l'aval d'une industrie de long terme comme la filière électrique, empêche les investissements. Il nous faut maintenant ce cadre clair - je ne sais pas s’il faut pour cela passer par un décret ou un débat parlementaire - car visibilité et investissement sont indispensables pour notre souveraineté industrielle et énergétique."

À entendre Adrien Thirion, l'État met pourtant déjà beaucoup d’argent sur la table chaque année pour soutenir le déploiement des Pac. Se pose alors la question du retour sur cet investissement. "On veut soutenir les meilleures Pac, les plus vertueuses sur le plan environnemental. Mais on n'a pas réussi à créer quelque chose qui fonctionne en matière de ratio impact carbone/impact productiviste pour les Pac."

Une "croisade contre les Pac" dénoncée

Le regard de Paris se tourne alors vers Bruxelles : "40% des Pac et autres composants (comme les panneaux photovoltaïques) consommés en Europe doivent être produits en Europe. Il faut poursuivre cette opérationnalisation, avec le NZIA (Net Zero Industry Act) qui doit calibrer le critère de résilience des Pac made in Europe ou made in France. La France veut porter au niveau européen un cadre valorisant explicitement le made in Europe, qui sera sans doute appliqué un jour aux Pac", veut croire le haut-fonctionnaire.

Au-delà de la bureaucratie européenne, des freins plus proches et plus concrets restent à lever. "Il faut gagner le débat dans l’opinion en luttant contre les idées reçues sur les Pac - les nuisances sonores, les piètres performances en cas de froid…", suggère Diane Simiu. Qui s'interroge par ailleurs : "Pourquoi les ONG ne soutiennent pas la Pac en France ? Parce qu'elles peuvent avoir un discours dogmatique sur l’électricité, bien souvent d’origine nucléaire dans notre pays, et partir du principe que si on installe une Pac, on ne rénove pas."

"Il n’y a pas de risque technique avec la Pac mais il y a un risque social." 

- Valérie Mancret-Taylor, directrice générale de l'Anah

Elle tacle au passage l'association Amorce et sa "croisade contre les Pac", qui seraient "fabriquées en Asie et opposées aux réseaux de chaleur, une production d’énergie locale et vertueuse". Une manière de dire que le secteur n'a pas besoin de convaincre l'administration et ferait mieux de s'atteler à convaincre les parlementaires.

"Il n’y a pas de risque technique avec la Pac mais il y a un risque social : la Pac s’adapte à n’importe quel type de logement d’un point de vue technique, mais un ménage aux faibles ressources à qui on propose une Pac sans l'accompagnement d’un service public risque de se retrouver dans une impasse en fin de mois", note pour sa part Valérie Mancret-Taylor, qui appelle à effectuer un diagnostic des logements.

Des appareils de qualité installés par des professionnels bien formés

La filière, qui cherche donc à moderniser son "récit" en y intégrant des "enjeux d'avenir", pourrait "valoriser cet atout pour la souveraineté et le climat" qu'est l'électricité, embraye Christian Buchel. Attention toutefois à mobiliser l'ensemble des professionnels (publics comme privés) contre les campagnes de désinformation organisées sur les réseaux sociaux et qui ciblent particulièrement les installateurs.

Il conviendrait également de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. "Il existe d’autres solutions décarbonées - les réseaux de chaleur, le solaire thermique...", rebondit Adrien Thirion, qui appelle à "avoir un discours de cohérence : chaque logement a sa solution". La production d'appareils de qualité et la formation des installateurs aux enjeux de qualité sont aussi à mettre dans la balance, d'après le représentant de la DGE.

"Il faut de la stabilité pour que le marché soit bien orienté. Les installateurs doivent pouvoir continuer à se structurer, attirer, recruter et former de nouveaux talents, et les particuliers doivent avoir une meilleure lisibilité et une confiance renforcée dans les aides à la rénovation", tranche François Deroche. Le président de l'Afpac demande que les pompes à chaleur soient "pleinement reconnues comme solution de chaleur renouvelable et soutenues comme telles".

Lutter contre la fraude

Le Cepac sera lui aussi amené à jouer un rôle. Sa mission consistera à accompagner les professionnels sur le dimensionnement des équipements, l’optimisation des usages, l’aspect acoustique ou encore le raccordement électrique. Les compétences des professionnels s'en trouveront certes confortées, mais cela n'améliorera pas pour autant la conjoncture.

"Le marché est difficile et cela freine les investissements. On espère que l’activité va rester stable en 2025 et on a maintenant besoin de se projeter en 2026 en étant assuré que les systèmes vont rester dans la lignée actuelle, car on est dans un secteur où tout se fige dès que des craintes apparaissent", prévient Camille Beurdeley, la délégué générale d’Uniclima.

"On a maintenant besoin de se projeter en 2026 en étant assuré que les systèmes vont rester dans la lignée actuelle, car on est dans un secteur où tout se fige dès que des craintes apparaissent."

- Camille Beurdeley, délégué générale d’Uniclima

Représentant les installateurs, Cyril Radici du Synasav (Syndicat national de la maintenance et des services en efficacité énergétique) veut quant à lui "appuyer sur la qualité de nos installations" en poussant "à avoir un certificat, à réaliser une mise en service et une maintenance régulière des équipements".

Le président de l’UMGCC-FFB (Union des métiers du génie climatique, de la couverture et de la plomberie de la Fédération française du bâtiment), Pascal Housset, interpelle la directrice générale de l'Anah : "Il nous faut une régularité dans le déblocage des dossiers". Réponse de la DG de l'Anah : "Il est beaucoup plus fluide de débloquer les dossiers par gestes que les dossiers de rénovations d’ampleur, sans oublier le phénomène de la fraude, qui concernait surtout les dossiers par gestes mais concerne de plus en plus les dossiers de rénovations globales". S'il sait donc où il veut aller, le secteur a néanmoins encore une longue route avant d'y parvenir.


Actualités

Sélection produits