"On peut se demander si la réglementation est à la hauteur des enjeux environnementaux", Tristan Riom

Par   Corentin PATRIGEON

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Publié le 11 septembre 2025
© Corentin Patrigeon pour XPair
Tristan Riom, adjoint du maire de Nantes en charge de l'énergie et des bâtiments, par ailleurs vice-président de la métropole de Nantes en charge de la transition écologique, et ingénieur de formation.
ENTRETIEN. Le génie climatique peut-il concilier son activité avec l'urgence environnementale ? Éléments de réponse avec Tristan Riom, adjoint du maire de Nantes et vice-président de la métropole nantaise en charge de l’énergie, du bâtiment et de la transition écologique, par ailleurs ingénieur de formation.

Des énergies qui s'opposent ou qui cherchent au contraire à s'associer, une réglementation tantôt perçue comme stimulante, tantôt comme contraignante, des changements permanents sur les dispositifs d'aide à la rénovation énergétique... Il n'est pas toujours évident pour les professionnels du génie climatique et de la performance énergétique d'y voir clair dans le contexte actuel.

À l'occasion de l'édition régionale d'EnerJ-Meeting, la Journée de l'efficacité énergétique et environnementale du bâtiment, qui a été organisée par Batiactu Groupe (propriétaire d'XPair) ce 9 septembre 2025 à Nantes, XPair s'est entretenu avec Tristan Riom, adjoint du maire de Nantes en charge de l'énergie et des bâtiments, par ailleurs vice-président de la métropole de Nantes en charge de la transition écologique, et ingénieur de formation.

XPair : Les acteurs du CVC font face à un certain nombre de difficultés dans la période actuelle. En tant qu'ingénieur, quel est votre état d'esprit ?

Tristan Riom : En tant qu’ingénieur, je trouve que la période est intéressante car des transformations majeures sont en cours et nous devons trouver de nouvelles solutions pour y faire face. Il y a des débats sur le sens du progrès, sur celui de l’innovation : est-ce que celle-ci doit s'apparenter à un nouveau besoin dans une logique de consommer toujours plus, ou doit-elle répondre aux besoins actuels dans une logique de moins consommer ?

La période actuelle questionne le rôle des ingénieurs. Nous n’avons plus le même boulot mais celui-ci reste un défi technique. Je donne des cours en école d’ingénierie et je trouve que les étudiants ont conscience de ce discours, qui n’enlève en rien l’aspect technique de la réflexion, et y sont réceptifs.

C’est aussi une période qui peut redonner du sens. La clarté du chemin doit nous sortir de ce brouillard car il y a un paradoxe entre le ressenti quotidien du réchauffement climatique et la poursuite de certaines pratiques de nos métiers, comme l’artificialisation des sols. C’est donc un sujet d’innovation très enthousiasmant.

Certains acteurs jugent que la réglementation leur met des bâtons dans les roues, d'autres estiment qu'elle constitue un moyen de se dépasser. Quel est votre avis ?

T. R. : Je suis favorable à la réglementation environnementale car elle donne un cadre et une orientation claire. Il faut impérativement être clair sur les objectifs : respecter l’Accord de Paris, diminuer notre impact environnemental et adapter nos bâtiments au réchauffement climatique. Et tout cela passe par une réglementation qui doit donner aux acteurs l’envie de faire leur travail tout en étant suffisamment ambitieuse pour permettre à chacun d'entre eux de s’organiser.

Il ne faut pas viser plus haut pour le plaisir de viser plus haut. Mais il est légitime de se demander si la réglementation actuelle est à la hauteur des enjeux actuels. Sur la question thermique, je pense que la France fait bonne figure et qu’on peut en être satisfait.

Des efforts supplémentaires peuvent être ajoutés à l'échelon local : la ville de Nantes a par exemple rajouté une réglementation à l’existante pour répondre aux sujets du confort d’été et de l’adaptation à la chaleur en travaillant sur les types de matériaux utilisés et les systèmes constructifs mis en oeuvre. Nous demandons par exemple de respecter certains labels de matériaux biosourcés, qui ancrent à nouveau le bâtiment dans son environnement et permettent de valoriser des filières locales.

"Il y a un paradoxe entre le ressenti quotidien du réchauffement climatique et la poursuite de certaines pratiques de nos métiers, comme l’artificialisation des sols."

Il ne faut donc pas avoir une approche de pure uniformisation mais nous devons aller plus loin, car le bâtiment a un rôle majeur dans la structuration d’autres secteurs économiques. Et il ne faut pas oublier que le bâtiment, c’est aussi un travail d’artisan !

La question du Zan (Zéro artificialisation nette) est un autre sujet majeur pour le bâtiment. La majorité des nouvelles constructions ne doit plus se faire sur des terres artificialisées ; c’est pourtant une des lois sur lesquelles il y a eu des reculs dommageables. Au niveau de notre Scot (Schéma de cohérence territoriale), nous avons affirmé qu’on appliquerait le Zan au sens de la loi Climat et résilience. Cela implique une autre manière de travailler pour les professionnels, mais c’est nécessaire.

Les pouvoirs publics donnent la priorité à l’électrification des usages mais des professionnels insistent au contraire sur la complémentarité des énergies. Quelle voie faudrait-il emprunter ?

T. R. : L’avenir est fait de diversification. L'énergie est un enjeu majeur mais on a malheureusement à peine effleuré le sujet en France. La diversification des énergies impose un débat démocratique, qui a jusqu'à présent été pitoyable : on se prend la tête pour ou contre le nucléaire, pour ou contre l’éolien... Pour ma part, je pense que le tout électrification avec le nucléaire n’est absolument pas une réponse adéquate.

Le problème avec la baisse du CEP (coefficient d'énergie primaire) dans le calcul du DPE (diagnostic de performance énergétique), c’est qu’on part du fait que les chaudières gaz sont difficilement décarbonables, ce qui est vrai, mais on fait croire qu'il suffit de passer à une pompe à chaleur pour gagner une ou plusieurs étiquettes. Ce faisant, on n'aborde pas la question de l’isolation thermique et des systèmes plus efficients. Or, il faut d’abord isoler et ensuite changer de vecteur.

"Il s'agit d'un changement de civilisation, et c’est le rôle des acteurs publics de donner une trajectoire claire pour que tout le monde ait la visibilité nécessaire."

Comment une agglomération comme celle de Nantes tente-t-elle de répondre aux enjeux de transition écologique et de performance énergétique dans le bâtiment ?

T. R. : Nous proposons par exemple des aides directes aux propriétaires pour les accompagner dans des travaux de rénovation de qualité. Plus largement, nous sentons qu’il y a un vrai sujet sur la transition écologique en lien avec l’urbanisme, sur la place de la nature en ville, la densité urbaine, les équipements publics… Ce croisement est intéressant et montre qu’il y a une véritable envie de faire. La prochaine réforme de notre PLU (plan local d'urbanisme) va s’en nourrir.

Nous avons aussi dans l’idée d’élaborer un label bâtiment frugal et nous travaillons avec les acteurs locaux et des professionnels engagés pour que le secteur du bâtiment puisse jouer le rôle important qui doit être le sien.

Le Plan climat de Nantes Métropole fixe en outre l’objectif de neutralité carbone en 2050, sachant que nous avons trois postes d’émissions : le transport, l'agriculture et bien sûr le bâtiment. Dans tous les cas, il s'agit d'un changement de civilisation, et c’est le rôle des acteurs publics de donner une trajectoire claire pour que tout le monde ait la visibilité nécessaire.

Des organisations professionnelles du secteur ont eu l'occasion de réclamer un ministère de plein exercice intégralement dédié au logement. Partagez-vous cette idée ?

T. R. : Le logement est un sujet essentiel. On a vu depuis quelques années un manque de constance au niveau du gouvernement et de l’État dans ce domaine, alors avoir un ministère qui a une vraie vision du sujet me paraît primordial.

L’autre enjeu, c’est la crise du logement : aujourd'hui, toute une génération ne peut plus se loger à cause de prix qui sont devenus ingérables. Tous les allers-retours sur l’accompagnement à la rénovation énergétique jettent également le trouble sur la profession et les particuliers. Nommer un ministre en charge de l'ensemble de ces dossiers me semble donc pertinent.

Pour précisément éviter ces allers-retours sur les dispositifs d'aide, faut-il selon vous sanctuariser les aides à la rénovation ? Sachant que, dans le même temps, les finances publiques sont dans le rouge…

T. R. : Je ne suis pas d’accord pour dire que les caisses sont vides. La question de fond, c’est : est-ce qu’on pense qu’il faut investir dans le pays pour s’adapter au changement climatique ? Nous devons mettre toutes les propositions sur la table et générer de nouvelles sources de revenus.

Par exemple, les nombreux va-et-vient sur le Fonds chaleur ont mis en péril les projets et ce n’est pas une bonne utilisation des deniers publics. Donc oui, il faut sanctuariser des enveloppes pour accompagner les filières dans leur transition, mais cela ne doit pas passer par une opposition entre les politiques publiques.


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