Transition énergétique : "Il ne faut pas amoindrir nos exigences mais faciliter leur atteinte", Y. Saint Roch (Serce)
Dans un entretien à XPair, Yannick Saint Roch, le directeur général du Serce, le syndicat des entreprises de la transition énergétique et numérique, revient sur le bilan 2024 et les perspectives 2025 de ses adhérents. Il aborde aussi les nombreux enjeux de la filière, de l'électrification des usages à la flexibilité des réseaux en passant par les lourdeurs de l'administration française.
XPair : Comment s’est achevée l'année 2024 pour les adhérents du Serce et comment abordent-ils l’année 2025 ?
Yannick Saint Roch : L'année 2024 a été plutôt bonne puisque nos adhérents ont enregistré une croissance d’à peu près 5%, avec bien sûr des variantes selon les activités, et toujours beaucoup de croissance externe, notamment sur le périmètre européen. Si l’on reprend secteur par secteur, notre activité traditionnelle que sont les infrastructures a bien marché en 2024, mieux que sur les années précédentes. Il y a un certain nombre de plans d'investissement qui commencent à prendre corps, chez RTE et Enedis notamment.
La deuxième activité, qui est tout aussi importante, est le bâtiment – tertiaire uniquement –, qui s'est bien maintenu. C'est une bonne surprise parce que ce n’était pas forcément évident vu la conjoncture actuelle dans le bâtiment au sens large. Nos adhérents ont bénéficié de deux facteurs : les chantiers de rénovation ont été assez prégnants en 2024, et on arrive petit à petit à la fin des gros projets, moment où les travaux sur les lots électriques et climatiques sont lancés. Il y a donc forcément un effet de décalage sur le marché global.
Enfin, l'industrie est peut-être l'activité qui a connu la croissance la plus faible en 2024, mais après une année 2023 qui était exceptionnelle. En fin d’année dernière, on a vu une rotation des projets qui s’est de plus en plus accélérée. C'est-à-dire que des chantiers de réindustrialisation, comme des "datacenters" (centres de données) ou des "gigafactories" (giga-usines), qui sont sur le papier ne sortent pas forcément de terre et peuvent être remplacés par d'autres. Cette agilité s’observe davantage sur les gros projets industriels.
Le sujet qui nous occupe, c'est la décarbonation. Et on voit que la France commence à prendre du retard sur ses objectifs.
Il n'y a pas vraiment de réduction du nombre de projets, les sollicitations de nos adhérents restent relativement importantes, mais du devis jusqu'à l'achat, le processus est plus long. Il y a donc une petite interrogation sur la fin de l'année 2025 mais il ne devrait pas y avoir de catastrophe majeure car nos adhérents sont implantés dans des secteurs extrêmement porteurs. Donc même s'il y a un segment qui se porte un peu moins bien, le reste va compenser.
L'autre point sur lequel le décrochage est notable, c'est la consommation, les usages de l'énergie électrique. Ce qui veut dire que l'électrification ne se fait pas totalement et que nous sommes en train de prendre du retard. Cela se voit dans le tertiaire : 600 millions de m² ont été déclarés sur la plateforme Operat, soit plus de la moitié du parc. On est encore loin du compte et les marchés porteurs en termes d’équipements ne progressent pas.
Le risque est d’assister à une démobilisation des acteurs, qui commencent à se poser la question d’y aller ou pas à cause du millefeuille réglementaire et de la difficulté à bien flécher leurs investissements.
Si la tendance se poursuit, il y a un moment donné où ce décalage entre les objectifs de décarbonation et les résultats obtenus posera un vrai problème. Ce décalage n'est pas impossible à combler, mais s'il doit se poursuivre, il va créer des difficultés. Le Serce attend donc du Gouvernement qu’il garde bien à l'esprit les engagements de la France au niveau européen, qui sont des objectifs de long terme.
On sait qu'il y a notamment une facilité à implanter des systèmes de gestion technique du bâtiment dans des sites tertiaires et ainsi obtenir des résultats par le biais du contrat de performance énergétique. Si les CEE venaient globalement s'imbriquer dans les CPE, qui fixent une obligation de résultat, cela permettrait de disposer d’un système plus vertueux. C’est en tout cas là où nous avons le plus de certitudes d'avoir des effets positifs.
Lier les CEE à l’objectif du CPE permettrait d’avoir une force de frappe beaucoup plus importante mais aussi d’avoir une garantie sur l'utilisation des fonds.
Il n’y a pas que des maisons individuelles, il y a aussi du logement collectif, et les processus de décision des copropriétés sont loin d’être la voie la plus aisée pour atteindre cet objectif. Nous devons aussi nous donner ces moyens-là.
Par ailleurs, notre pays a la chance d'être bien implanté géographiquement, et de gros donneurs d’ordre – essentiellement les Gafam [acronyme désignant les géants américains de la technologie : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, NDLR] – envisagent de construire en France des "data centers" ou des "gigafactories". Il faut qu'on puisse faciliter l'installation de ces sites qui sont absolument nécessaires dans l'économie numérique et le développement de l'intelligence artificielle.
Pour se garantir par rapport aux concurrents étrangers, je pense qu'il faut savoir, à un moment donné, octroyer un bonus aux industriels qui jouent le jeu en respectant les normes européennes.
Derrière l'approvisionnement électrique, il y a en réalité beaucoup de choses, comme les réseaux, car entre la production et la consommation de l'énergie, il y a son transport, sa distribution. Il y a encore beaucoup de travail à faire là-dessus, y compris sur les matériels qui vont accompagner les usages. Nous produisons très peu de matières premières, comme le lithium, sur le territoire européen, et nous sommes dépendants, particulièrement de la Chine, ce qui pourrait nous poser des problèmes d'approvisionnement.
Pour protéger notre économie et notre industrie, il faut aller sur la valorisation du carbone.
Il y a également la question de notre résilience économique. L'Europe a la réputation d'imposer beaucoup de normes, et généralement la France les surtranspose, ce qui ne simplifie pas les choses. C'est notre spécificité européenne, notre façon de faire française. Mais pour se garantir par rapport aux concurrents étrangers, je pense qu'il faut savoir, à un moment donné, octroyer un bonus aux industriels qui jouent le jeu en respectant les normes européennes.
Les résultats ne sont pas encore là, mais la prise de conscience et les moyens le sont. Pour protéger notre économie et notre industrie, il faut aller sur la valorisation du carbone. En défendant nos acteurs économiques, on les incitera de fait aussi à la décarbonation, là où il peut y avoir aujourd'hui des résistances. Il ne faut pas amoindrir nos exigences - nous avons raison d'en avoir -, mais il faut faciliter leur atteinte.
Mais le réseau actuel a été conçu il y a longtemps, dans un système de production très centralisé, donc il faut l'adapter aux ENR et au changement climatique, y intégrer des capacités de stockage pour ensuite avoir de la flexibilité... Cela représente beaucoup de travail pour nos entreprises mais la feuille de route, elle, est très claire.
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