Avec le réchauffement climatique, les besoins passent "d'un froid de confort à un froid sanitaire" (Fedene)

Par   Corentin PATRIGEON

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Publié le 30 janvier 2025
Pascal Guillaume, président de la Fedene.
Gilles Delacuvellerie
Pascal Guillaume, président de la Fedene.
PERFORMANCE. À la tête de la fédération professionnelle des entreprises de services pour l’énergie et l’environnement, Pascal Guillaume espère que le Fonds chaleur ne fera pas les frais des querelles politiques autour du budget 2025. Auprès d'XPair, il insiste également sur les atouts du contrat de performance énergétique et précise la structuration de la filière du froid renouvelable.

XPair : Comment s'est passée l'année dernière et comment se présente l'année qui commence pour les professionnels qui composent votre fédération ?

Pascal Guillaume, président de la Fedene : Sur 2024, il y a eu deux temps forts pour nos métiers. Le premier, c'est bien sûr la Sfec (Stratégie française énergie-climat) et la PPE (Programmation pluriannuelle de l’énergie), sur laquelle on a été très engagé pour exprimer ce qui nous paraissait être les bons leviers, que ce soit en termes de décarbonation ou d'efficacité énergétique.

Et puis aussi, et c'est très important, le fait que ce qui conditionnera la matérialisation et l'atteinte des objectifs de la PPE et de la SNBC (Stratégie nationale bas-carbone), c'est leur déploiement sur l'ensemble du terrain. Et pour ça, il y a des éléments clés qui sont les régions, et c’est pourquoi nous avons travaillé sur une régionalisation de la Sfec. Ce sera d'ailleurs un des enjeux significatifs de 2025.

Le projet de loi de Finances, avec les rebondissements qui y sont associés, a été le deuxième temps fort de 2024, sur lequel on avait vraiment un enjeu majeur, c'était le budget du Fonds chaleur. Avec une équation qui était hyper contrainte, puisqu'on était dans une situation d'un budget 2024 à 820 millions d’euros, qui était déjà en hausse par rapport aux années précédentes, mais néanmoins qui ne permettait pas de faire face à tous les besoins des projets qui étaient nés et identifiés suite à cette fameuse crise énergétique qui a été consécutive aux événements en Ukraine.

Il faut trouver comment faire pour que les 820 millions d'euros du Fonds chaleur permettent de faire aboutir un maximum de projets

On avait donc des projets pour 2025 à hauteur d'un milliard et on voyait bien qu'il y avait la nécessité de porter le Fonds chaleur à environ 1,5 milliard. Et c'était d'ailleurs très cohérent avec la trajectoire initiale envisagée dans la Sfec. C'est bien pour cela que nous nous sommes battus, afin d'éviter que, contrairement à ce qui avait été prévu, le budget du Fonds chaleur ne soit pas diminué de 35%.

L’ensemble des acteurs qui se sont mobilisés ont obtenu un arbitrage pour maintenir ce budget à hauteur de 800 millions. Le sujet a rebondi fin 2024, et depuis le début 2025, on se félicite que le gouvernement de  François Bayrou ait reconfirmé et précisé que ce budget ne serait pas de 800 millions, mais bien de 820 millions. Ce message a donc été entendu dans un contexte où l’on connaît les contraintes budgétaires et qu'on ne nie absolument pas le fait que quand on est sous contrat, il faut aller à l'essentiel et focaliser les moyens là où ils ont le plus de pertinence.

Je reste toujours très prudent, mais on espère désormais deux choses. D'une part, que cet arbitrage ira au bout, et que ce soit réellement 820 millions sur 2025, c'est-à-dire qu'on n'ait pas d'effet prorata temporis lié à la loi spéciale. Car les projets sont toujours là. D'autre part, il faut trouver comment faire pour que ces 820 millions nous permettent de faire aboutir un maximum de projets. Donc il y a un dosage fin à faire entre les niveaux de soutien aux projets, pour faire en sorte de tirer le maximum de ce budget, mais faut-il encore l'avoir…

Il y a un autre sujet qui est la visibilité de nos métiers. C'est pour moi un enjeu majeur, parce qu'au moment même où l’on entend énormément de messages un peu inquiétants sur l'emploi, nos métiers sont en tension. Il y a des opportunités. On veut attirer des talents et pour cela, tous les messages sur l'importance de la transition énergétique sont essentiels. Ce que nous avons à faire comme travail, c'est relier ces messages à nos métiers. Il faut communiquer plus fortement ce sens qu'on donne à nos métiers.

Comptez-vous lancer une campagne de communication autour de vos métiers ?

P. G. : Nous travaillons avec beaucoup d'acteurs. La Fedene participe à des évènements partout en France, avec du job dating pour les jeunes. On travaille également avec des personnes qui sont en reconversion, ainsi qu'avec les lycées professionnels. Et bien sûr, nous avons France Travail comme partenaire. On a également fait en sorte que nos métiers soient référencés comme des métiers de la transition énergétique dans les bases de données référençant les emplois en lien avec la transition énergétique.

Quelles sont vos propositions suite à la clôture de la concertation publique sur la PPE ?

P. G. : Pour nous, cette concertation est tout à fait en cohérence avec ce qui était dans la Sfec, qui reconnaissait la place de la chaleur renouvelable et de récupération et affichait une grande ambition. Bien sûr, cette ambition doit être cohérente avec les moyens qu'on y consacre. Nous sommes attentifs sur deux sujets : l'efficacité énergétique d'abord, et la décarbonation ensuite.

Si on veut que l'efficacité énergétique soit au rendez-vous, il faut bien sûr faire de la rénovation. Il est essentiel de garantir dans la durée à la fois l'efficacité énergétique et la sobriété énergétique. Et pour cela, il y a le contrat de performance énergétique. Le thème de la décarbonation englobe aussi la biomasse. On sait qu'il y a ici un sujet de réconciliation entre le potentiel et les besoins exprimés dans les trajectoires. Nous adressons donc deux messages.

Le bouclage de la biomasse est une question qui doit se traiter à la maille régionale

Le premier, c'est de dire : surtout pas de grands coups de barre, et avant d'adopter une attitude trop réductrice sur les objectifs, attendons d'avoir les conclusions du groupement d'intérêt scientifique qui, lui, va se pencher de façon beaucoup plus détaillée sur ce sujet. Ce sera un élément clé pour avoir le bon dosage.

Notre deuxième message, c'est qu'il s'agit d'une question qui doit de toute façon se traiter à la maille régionale, parce qu'il y a des régions qui seront beaucoup plus vite en tension et d'autres pour lesquelles, au contraire, il faut maintenir une bonne dynamique de ces projets de biomasse et de bois-énergie.

Est-ce que, selon vous, le compte y sera ? Il y a quand même des doutes sur le bouclage de la biomasse...

P. G. : Comme je viens de le dire, attendons que le groupement d'intérêt scientifique ait avancé et qu'on ait bien affiné la question. Et surtout, au-delà de dire s'il y a de la tension, il faut savoir à quelle échéance cette tension apparaîtra. Et de ce fait, comment on calculer notre atterrissage en termes de transfert d'une source de décarbonation vers une autre. Et quand je dis une autre, je renvoie à la chaleur fatale, qui est un gisement extrêmement important et aujourd'hui insuffisamment exploité.

Nous avons une proposition concrète sur ce sujet. Pour valoriser la chaleur fatale industrielle, il faut investir pour aller chercher cette chaleur sur un site industriel et, derrière, l'amener au produit. Mais pour que le sujet soit économiquement pertinent, les industriels sont sur des horizons d'amortissement typiques d'une infrastructure comme un réseau de chaleur, donc entre 10 à 15 ans. Or, d'une part ce n'est pas le métier de l’industriel de faire des réseaux de chaleur, et d'autre part il ne va pas s'engager sur un horizon qui irait au-delà de 3 à 5 ans.

Donc il ne va pas prendre un engagement sur quelque chose qui n'est pas son cœur de métier et où, finalement, la rentabilité va contribuer à la compétitivité du site mais n'est pas suffisante pour l’amener à s'engager sur le long terme et apporter ses propres investissements. Il faut donc trouver un moyen de gérer cet horizon différent. Nous proposons de mettre en place un système de dérisquage en mutualisant le risque sur plusieurs projets. Le sujet est encore sur le métier et on y travaille.

Il faut promouvoir les CPE, dans le bâtiment mais aussi dans l'industrie

Le Serce plaide pour que les CEE soient davantage liés au système des CPE. C'est déjà en partie le cas aujourd'hui, mais l’idée serait d’amplifier le système. Est-ce que vous rejoignez cette proposition ? Et comment envisagez-vous de faire monter en puissance cet outil ?

P. G. : Nous pensons que c'est tout à fait pertinent. Quand vous investissez dans la rénovation, il y a ce fameux effet rebond, dont on sait qu'il va déboucher pour partie sur des économies à long terme. Il y a en réalité deux étapes. D’abord, garantir la performance au moment de la mise en service de l'installation. C'est justement ce qu'amènent les CPE. Cela correspond à la fois à une réalité en termes de performance énergétique, mais cela va aussi conduire plus de propriétaires à se doter de cette garantie dans le long terme. Et puis, il y a la dimension comportementale et managériale de l'occupation du site. Pour nous, il faut donc promouvoir les CPE, dans le bâtiment mais aussi dans l'industrie.

Avec la multiplication des canicules et l'enjeu du confort d'été dans le logement, il semblerait qu’il soit de plus en plus question de la production et de la distribution de froid renouvelable. Où en est la mise en place de cette filière aujourd’hui en France ?

P. G. : Le froid renouvelable, ou froid efficace dans le jargon européen, et plus largement les outils de rafraîchissement, sont une composante extrêmement importante qui devrait être largement plus déployée. La notion d'îlot de chaleur est une réalité. Outre la sévérité des vagues de chaleur, qui ira sans doute en augmentant, on a aussi un effet démographique. Et on passe ainsi progressivement d'un froid de confort à un froid sanitaire.

Il nous faut donc des outils nous permettant d'amener du rafraîchissement tout en évitant ces phénomènes d'îlot de chaleur. Une infrastructure comme un réseau de froid, c'est aussi une infrastructure au sein de laquelle tous les fluides frigorifiques, qui sont eux-mêmes des gaz à effet de serre extrêmement puissants, vont être parfaitement maîtrisés. Et tout ça avec une bonne efficacité énergétique. Ces outils ont donc une vraie place, tant en termes d'atténuation que d’adaptation au changement climatique.

Le chantier progresse, notamment au niveau de la réglementation européenne, et nous avons obtenu que les réseaux de froid soient éligibles aux aides et aux soutiens. Pour ça, il faut encore valider certains changements réglementaires dans la définition, notamment des réseaux de froid efficaces. On s'oriente plutôt vers l’option carbone et c'est ce qu'on pousse auprès des autorités françaises. Pour nous, les réseaux de froid doivent dorénavant être mieux reconnus et déployés. Il y a un objectif spécifique pour les réseaux de froid urbain dans la Sfec et la PPE. Au niveau européen, il y a également des réflexions sur une stratégie chaleur et froid.


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