Rénovation : faut-il "faire mieux mais moins vite" pour adapter le bâtiment à +4 °C ?

Pour adapter le bâtiment au réchauffement climatique, il va falloir payer. Oui, mais combien ? L'Institut d'économie pour le climat (I4CE) tente de répondre à cette épineuse question dans une étude publiée ce mois-ci et consacrée aux investissements nécessaires pour préparer la société et l'économie françaises à une hausse des températures de 4 °C.
Il faut déjà commencer par une bonne nouvelle : les équipes de l'institut observent depuis 2020 une augmentation des moyens alloués à ce dossier et estiment qu'il n'y a "plus d'angle mort évident" dans les politiques publiques. Les programmes d'investissement semblent donc avoir intégré l'urgence climatique dans leurs lignes, ce qui représenterait "plusieurs dizaines de milliards d'euros de dépenses" qui ne sont pas forcément présentés comme tel mais participeraient bien de la transition "avec des cobénéfices avérés pour l'adaptation", notamment en matière de rénovation énergétique des bâtiments.
Dans ce domaine, plusieurs outils permettent de soutenir le financement des projets. Dédié aux bâtiments publics des collectivités, le Fonds vert a attribué 707 millions d'euros en 2024 pour 3 milliards d'euros d’investissements totaux, selon les chiffres du ministère de la Transition écologique. Le dispositif MaPrimeRénov’ a pour sa part consacré 2,3 mds€ pour 16,4 mds€ d’investissements totaux dans la rénovation énergétique des logements privés, d'après les données de l'I4CE. En 2025, le parc immobilier de l’État devrait quant à lui bénéficier de 2,8 mds€ pour ses travaux de rénovation et d'entretien, selon le Gouvernement.
Du rattrapage mais pas d'anticipation
Cela dit, "le cas des bâtiments publics (écoles, gares) ou des logements en surchauffe à chaque épisode caniculaire malgré des travaux récents montre que des progrès sont nécessaires pour mieux prendre en compte l'adaptation et réduire les vulnérabilités", relève le rapport. Alors que le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu n'a pas encore constitué son gouvernement et que les débats parlementaires autour du projet de loi de Finances 2026 s'annoncent pour le moins tendus, l'I4CE met aussi en garde sur la pérennité des dizaines de milliards d'euros de l'adaptation face aux incertitudes budgétaires.
Les chercheurs de l'institut ont par ailleurs observé que les moyens engagés jusqu'à présent l'avaient été "dans une logique de rattrapage" - et non d'anticipation - et qu'ils contribuent majoritairement à maintenir les modèles économiques existants, dont la responsabilité dans le dérèglement climatique et environnemental semble pourtant évidente. Dans le bâtiment, ce "rattrapage" se constate dans la lutte contre l'inconfort d'été. Depuis le 1ᵉʳ janvier 2022, des critères de confort d’été ont certes été introduits dans la RE2020 "mais avec comme évènement de référence le scénario de la canicule de 2003 et sans prise en compte des projections climatiques".
"Mettre en oeuvre des plans spécifiques à l’adaptation dans le secteur du bâtiment générerait des besoins qui dépasseraient les programmes d’investissements actuels (en montant mais aussi dans les modalités de mise en oeuvre)."
- Étude "Adapter la France à +4 °C : moyens, besoins, financements" de l'I4CE
D'autres pistes sont envisagées, comme la mise à disposition des données climatiques alignées sur la Tracc (Trajectoire de réchauffement de référence pour l'adaptation au changement climatique) en 2025, ou la réalisation d'une étude prévue par le Pnacc 3 (Plan national d'adaptation au changement climatique) "pour alimenter un retour d’expérience sur le confort d’été dans la RE2020". À ce stade, aucune évolution n'est toutefois prévue dans la réglementation, même si "le Pnacc 3 prévoit d’étudier la question à l’issue de l’étude à mener".
C'est pourquoi l'étude recommande de renforcer l'accompagnement et l'ingénierie dédiés aux programmes d'investissement, qui mériteraient par ailleurs de prendre systématiquement en compte le "réflexe adaptation". Faire du confort d'été un critère "incontournable" de la mesure "Rénovation énergétique des bâtiments publics locaux" du Fonds vert pourrait par exemple en être une traduction… à condition de débourser entre "4 et 5 milliards d'euros par an" supplémentaires par rapport à la politique actuelle, d'après des estimations de l'institut.
L'adaptation, "contrainte complémentaire" ou remise en question pertinente ?
Selon les secteurs, les acteurs publics et privés sont invités à maintenir les modèles économiques existants lorsque cela s'avère pertinent, mais aussi à envisager "des actions de recomposition des espaces, de réinvention des filières et de transformation des territoires" dans le cas contraire. Reste à savoir qui va payer. Pour l'heure, les débats continuent à se tenir "de manière fragmentée, chaque acteur avançant pour chaque domaine ses propres propositions et pistes de financement".
Faire contribuer l'usager, instituer des mécanismes de solidarité entre les territoires, considérer que l'adaptation au changement climatique relève de l'intérêt général et donc assurer sa prise en charge par l'ensemble de la population… Les pistes de réflexion ne manquent pas, mais aucune vision d'ensemble n'émerge et on peut qui plus est s'interroger sur leur acceptation.
D'après l'étude, "mettre en oeuvre des plans spécifiques à l’adaptation dans le secteur du bâtiment générerait des besoins qui dépasseraient les programmes d’investissements actuels (en montant mais aussi dans les modalités de mise en oeuvre)", ce qui pourrait engendrer "de trop fortes contraintes sur les cadres de discussions historiques, rendant nécessaire l’ouverture d’une réflexion spécifique sur les mécanismes à mettre en place pour financer l’adaptation à cette échelle".
Quoi qu'il en soit, l'adaptation au changement climatique s'insère déjà dans les discussions sur les montants et les critères d'attribution des dispositifs de soutien actuels, mais en agissant "comme une contrainte complémentaire dans des débats généraux qui sont déjà tendus". Ce qui aurait néanmoins le mérite d'orienter ces débats "sur l’ampleur et le rythme de déploiement de la politique de rénovation énergétique", posant de fait la question : "faut-il faire mieux mais moins vite ?", interroge l'I4CE.
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