Ventilation : comment cette start-up espère "arrêter d'opposer l'aéraulique à l'acoustique"
XPair : Quel est le projet à l'origine du lancement de Vibiscus ?
Robin Rivaton : Nous nous sommes rencontrés avec Gaël il y a plus de cinq ans sous l’égide du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et nous avons alors décidé de lancer une société avec pour mission d’améliorer les installations de flux d’air en traitant le problème du bruit. Nous sommes partis du constat que l’industrie a construit une vision assez compliquée de la chose, en proposant des systèmes passifs qui réduisent l’efficacité des performances aérauliques. Vibiscus est une entreprise française de haute technologie, dont les produits fabriqués en France constituent vraiment une rupture technologique, un chaînon qui était jusqu'alors manquant.
Les produits équivalents sont lourds et volumineux, et nous tentons de changer la donne avec des produits peu encombrants. Avec les systèmes actuels, l’acoustique n'est pas la conséquence mais plutôt la cause d'un débit d’air insuffisant : on génère certes moins de bruit mais en respirant un air vicié. Ce compromis n’est pas viable. L'idée de Vibiscus est donc de fait sauter le verrou acoustique en traitant le problème à la source.
Avez-vous reçu un soutien des pouvoirs publics ?
G. M. : La France étant l’un des pays les plus en pointe sur ce sujet, avec l'Allemagne, la Suisse ou les pays scandinaves, et Vibiscus étant un "spin-off" de laboratoire, nous avons donc eu tout le soutien de la puissance publique pour lancer l’activité et financer le risque : État, collectivités, Banque publique d'investissement (BPI), plan d'investissement France 2030... Nous employons aujourd'hui une quinzaine de salariés.
Comment les acteurs "traditionnels" de la ventilation ont-ils accueilli votre innovation ?
R. R. : Vibiscus est identifié comme deeptech (entreprise de rupture technologique, NDLR) mais on a voulu se différencier par notre modèle très lean (méthode de management consistant à améliorer la qualité tout en réduisant les délais, NDLR), en phase avec le marché. L’industrie du CVC est très conservatrice par nature, et ses professionnels ne croient que ce qu’ils voient, ou en l'occurrence ce qu'ils entendent !
"Nos produits affichent un débit allant jusqu'à 30 mètres par seconde, génèrent en moyenne -10 dB sur le spectre 63-400 Hz, avec des pics jusqu’à -40 dB selon les fréquences, pour une taille de 28 cm et un poids de 3-5 kg."
- Robin Rivaton
Ils changent beaucoup la façon d’appréhender les enjeux aérauliques, dans le tertiaire où il y a les plus gros débits, mais aussi dans le résidentiel. Ils peuvent même être amenés à fonctionner sur de plus gros volumes, comme la machinerie industrielle, pour évacuer toutes les nuisances : chaleur, CO₂, poussières…
G. M. : Ceux qui conçoivent et dimensionnent les bâtiments ont accueilli positivement nos produits et en sont satisfaits. Les acteurs traditionnels proposent des systèmes qui se vendent car ils répondent aux besoins pour lesquels ils sont achetés. Nous ne sommes pas en concurrence avec eux, nous apportons en fait une autre réponse à un autre problème. Il y a déjà eu des solutions de contrôle actif par le passé, qui étaient élégantes mais qui n’ont pas fait le travail ni sur la cause ni sur le besoin. Chez Vibiscus, on préfère intervenir à la source pour limiter le bruit. L’acousticien n'apporte pas toujours de bonnes nouvelles mais il faut écouter ce qu'il a à dire !

L'un des produits de la gamme développée par Vibiscus. © MCC Agence Créative
Votre production est donc fabriquée en France ?
R. R. : Oui, nous produisons dans l’Est de la France, où se trouvent des activités de métallurgie, de fabrication électronique… Les matières premières (acier, électronique…) viennent de l’étranger, mais la conception et la fabrication sont bien françaises. Toute la valeur ajoutée de nos produits provient de la loi de commandes qui pilote cette membrane spécifique. La composante hardware assure un autoréglage qui permet au système de s’adapter.
Et votre innovation est brevetée ?
R. R. : Plusieurs brevets ont été déposés : un initial issu de la recherche française, et d’autres propriétaires de la société.
"Nous développons une intelligence artificielle acoustique qui gère le système avec des composants chargés d'émettre et de recevoir. Le code embarqué permet d’avoir l’équivalent technologique d’un matériau passif de haute performance, piloté par un logiciel."
- Gaël Matten
Certains spécialistes considèrent que les débits pourraient encore être augmentés mais que cela entraînerait une hausse de la consommation d'énergie, ce qui va à l'encontre de la RE2020...
R. R. : Nos produits vont évidemment consommer mais moins qu'un système passif qui a une énorme perte de charge. Beaucoup d'énergie se perd dans le frottement de l'air à l’entrée du ventilateur ou de la CTA. La solution Vibiscus n’émet pas un son, ou plutôt elle le fait vibrer de manière très légère. Elle consomme moins de 10 W, ce qui est inférieur à la puissance perdue dans un silencieux passif. Sur l’aspect carbone, nous sommes en train de faire les caractérisations.
La ventilation est le seul segment d'activité en hausse selon les derniers chiffres d'Uniclima arrêtés à fin août. Pensez-vous avoir une carte à jouer dans ce contexte ?
R. R. : Que la ventilation soit en croissance n'est pas étonnant. Depuis le Covid, il y a une prise de conscience sur les espaces mal ventilés et chargés en CO₂, qui ont un impact sur la santé et la productivité. Il y a même des usagers qui se plaignent tellement de la ventilation qu'ils préfèrent ouvrir les fenêtres pour ne plus l’entendre ! La demande monte mais se heurte à la barrière acoustique. C’est un marché qui va forcément se développer mais à condition d'arrêter d'opposer l'aéraulique à l'acoustique. Il y a de la place pour des experts capables de regarder les choses différemment, avec d’autres technologies.
Si la seule manière d’améliorer la qualité de l'air intérieur est de surdimensionner les installations, alors on va droit dans le mur. La seule solution est de redimensionner les installations en abordant frontalement la question acoustique avec des innovations technologiques. Les pouvoirs publics ont pris conscience de l'enjeu mais c’est d’abord un sujet de marché.
Le besoin est exprimé et reconnu par les professionnels, mais le point d'achoppement portait jusqu'à présent sur la disponibilité d’une solution adaptée. Le marché semble aujourd'hui assez mature pour comprendre que ce problème ne pourra pas se résoudre avec toujours plus de surdimensionnement, qui entraîne des conséquences financières, sanitaires et environnementales.
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