Qualité de l'air : "Il n'y a pas de rénovation sans une ventilation bien posée et entretenue"

Par   Corentin PATRIGEON

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Publié le 14 octobre 2025
© Corentin Patrigeon pour XPair
De droite à gauche : Isabelle Momas, professeur des universités en santé publique et environnementale à la Faculté de pharmacie de Paris ; Valérie Leprince, directrice de projet qualité de l'environnement intérieur et ventilation au Cerema ; Laurent Broquedis, président du comité ventilation et traitement d'air des bâtiments d'Uniclima ; et Souad Bouallala-Selmi, coordinatrice scientifique et technique qualité de l'air à l'Ademe.
DÉCRYPTAGE. L'Observatoire de la qualité des environnements intérieurs a profité de la 10e Journée nationale de la qualité de l'air pour commenter les résultats de la campagne de mesure CNL 2 et lister les défis qu'il reste à relever. L'innovation pourra aider mais les acteurs devraient déjà commencer par appliquer les fondamentaux.

La 10ᵉ Journée nationale de la qualité de l'air était l'occasion toute trouvée pour que l'Observatoire de la qualité des environnements intérieurs (OQEI, anciennement Observatoire de la qualité de l'air intérieur – OQAI) organise une conférence sur la QAI dans les logements, alors que les enjeux autour de la ventilation et du confort d'usage bénéficient d'un regain d'intérêt depuis la crise Covid.

La structure, qui est copilotée par l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) et le CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment), a ainsi dressé un point d'étape sur les observations scientifiques, les leviers d'action ainsi que les perspectives nationales et européennes en la matière.

Pour Benoît Vallet, le directeur général de l’Anses qui a introduit l'évènement, le meilleur "témoignage de l’efficacité des politiques publiques" dans ce domaine n'est autre que "l’amélioration de la qualité de l’air depuis quelques années, via les normes et réglementations notamment". L'OQEI, dont les travaux sont pensés depuis une vingtaine d'années pour appuyer les politiques publiques et limiter les risques sanitaires, espère néanmoins pouvoir continuer à fonctionner comme il se doit.

Analyser l'ensemble des lieux d'exposition

"La recherche de données nouvelles est un angle extrêmement précieux pour les politiques publiques", glisse au passage Benoît Vallet, dans une allusion aux coupes budgétaires menées par l'administration Trump dans certains organismes de recherche étasunien. Car les progrès sont notables selon Isabelle Momas, professeur des universités en santé publique et environnementale à la Faculté de pharmacie de Paris : "Les données de l’OQAI ont aussi permis à l’Anses d’établir des valeurs guides et des scenarii d’exposition, ainsi que des évaluations de coûts sanitaires et économiques".

Celle qui est aussi membre du conseil scientifique de l'observatoire considère que ce dernier doit "poursuivre sa tâche en continuant à explorer la diversité des environnements intérieurs que l’on fréquente, cet 'exposome' intérieur, c’est-à-dire l’ensemble des expositions que nous rencontrons tout au long de la vie". D’où la "nécessité absolue", à ses yeux, de répéter au fil du temps les campagnes de mesurage dans différents lieux, afin d'évaluer l’efficacité des mesures déjà prises et d’anticiper d’éventuelles crises sanitaires.

"Les actions des politiques publiques ont forcément eu un impact cumulé ; ce qui est beaucoup plus difficile à estimer, c’est la contribution de chaque action."

- Olivier Ramalho, chef de mission à l'OQEI

À l'image de la seconde Campagne Nationale Logements, ou CNL 2, qui devait déterminer la distribution des concentrations de chaque substance ou paramètre de QAI dans le parc de résidences principales en France métropolitaine entre novembre 2020 et février 2023, à toute saison, et sur la base d'un échantillon de 571 logements.

"On a recherché plus de 170 polluants dans le cadre de deux visites menées à sept jours d’intervalle par deux enquêteurs terrain, qui ont réalisé des mesures intégrées (passives ou actives) ou continues sur la semaine. S’y ajoutent des questionnaires qui ont documenté les caractéristiques des logements, ménages et habitudes de vie", explicite Olivier Ramalho, chef de mission à l'OQEI, ajoutant que "les résultats observés sont directement exprimés à l’échelle du parc" (voir encadré).

La comparaison entre les CNL 1 et 2 montre une baisse de 47 % du benzène mais de fortes concentrations en limonène et alpha-pinène dues aux produits domestiques (qui n'avaient pas été mesurées en CNL 1). On note aussi la présence de formaldéhyde et d'acétaldéhyde dans tous les logements, dont la part chute toutefois de 30 % entre les deux campagnes.

Les particules fines (PM 2,5) affichent une valeur médiane de 13,2 µg / m3 en intérieur et de 8,4 en extérieur, sachant que la contribution est autant extérieure (52 %) qu’intérieure (48 %). Quarante-trois pour cent des logements dépassent la valeur journalière recommandée (15 µg / m3), bien que ce chiffre recule de 33 % entre les deux campagnes.

L'OQEI a également réalisé des mesures de radon en collaboration avec l’ASNR (Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection) : ce gaz radioactif naturel a été détecté dans 71 % des logements (> 22 Bq / m3), un niveau stable entre les deux campagnes.

Dépassement des valeurs de référence pour certains polluants

Depuis 2005, les politiques publiques n'ont donc pas chômé : des actions visant à baisser les émissions de polluants dans l'air ambiant, des dispositions réglementaires ayant pour objectif de réduire les émissions à la source, l'évolution de la réglementation thermique (avec la RT2005 puis la RT2012 et aujourd'hui la RE2020), l'attribution de valeurs de référence à un plus grand nombre de substances, la multiplication des actions de sensibilisation à la QAI du grand public et de l'ensemble des acteurs...

"Les actions des politiques publiques ont forcément eu un impact cumulé ; ce qui est beaucoup plus difficile à estimer, c’est la contribution de chaque action", résume Olivier Ramalho. D'après le spécialiste, la CNL 2 regorge de données pertinentes : elle témoigne d'une contribution majoritaire des sources intérieures mais aussi d'une part de logements affichant des niveaux très élevés pour un voire plusieurs polluants simultanés, voire un dépassement des valeurs de référence, notamment pour les particules fines.

"On doit pouvoir transposer le bienfait de ce contrôle à la réception dans la rénovation : si un système doit être mis en œuvre, en neuf comme en rénovation, il faut le vérifier !"

- Laurent Broquedis, président du comité ventilation et traitement d'air des bâtiments d'Uniclima

"De nombreuses substances n’ont pas de valeurs de référence alors que certaines d'entre elles sont suspectées, c'est pourquoi il y a un vrai besoin de développer des valeurs de référence", souligne Olivier Ramalho, qui note malgré tout que la France affiche des niveaux "comparables, voire légèrement inférieurs au reste de l’Europe ou à l’Amérique du Nord".

Un constat partagé par Atze Boerstra, professeur en innovation dans les services du bâtiment à l'Université technologique de Delft (Pays-Bas), et Valérie Leprince, directrice de projet qualité de l'environnement intérieur et ventilation au Cerema (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement), qui mettent en avant l'obligation de mesure et de contrôle de la QAI dans les textes européens en préparation.

Ce qui va logiquement déboucher sur une plus grande production de données... mais aussi poser "un vrai problème de confidentialité et de protection des données personnelles, car on peut en apprendre beaucoup sur les occupants d’un bâtiment en analysant ces données".

L'enjeu de la maintenance

Souad Bouallala-Selmi, coordinatrice scientifique et technique qualité de l'air au service de la qualité de l'air et à la direction des villes et territoires durables de l'Ademe (Agence de la transition écologique), confirme pour sa part que "les aspects ventilation et QAI vont être pris en compte dans le plan de rénovation national prévu par l’EPBD (directive sur la performance énergétique des bâtiments)". Une meilleure information des professionnels comme des occupants pourrait d'ailleurs passer par le carnet d’information numérique du logement.

Mais pour Isabelle Momas, s'il y a bien une baisse des polluants intérieurs, le combat de la QAI doit malgré tout se poursuivre. "Le suivi des concentrations de polluants est très important mais les réglementations actuelles regardent polluant par polluant. Peut-être qu’un indicateur global prenant en compte la totalité des polluants serait une avancée, tout comme le fait de documenter les différents environnements pour avoir une idée de l’exposition totale de l’individu."

Le calcul des expositions cumulées serait donc le point faible actuel... avec les enjeux de maintenance ! "On a beaucoup trop d’études montrant un problème de QAI sans se préoccuper de savoir si le système de ventilation a été bien installé", relève Valérie Leprince. Il conviendrait donc de se diriger vers des systèmes plus performants, optimisés, bien qu'il ne soit "ni nécessaire ni pertinent d’imposer un débit d’air permanent à 25 m3 / h".

"Peut-être qu’un indicateur global prenant en compte la totalité des polluants serait une avancée, tout comme le fait de documenter les différents environnements pour avoir une idée de l’exposition totale de l’individu."

- Isabelle Momas, professeur des universités en santé publique et environnementale à la Faculté de pharmacie de Paris

Et une fois de plus, l'effort doit surtout être porté dans la rénovation car le neuf a déjà franchi un "pas significatif" avec l'instauration du "contrôle à la réception du système de ventilation", assure Laurent Broquedis, président du comité ventilation et traitement d'air des bâtiments d'Uniclima. "Jusqu’à la RE2020, 30 % des logements étaient conformes ; aujourd’hui, 85 % le sont, donc le système fonctionne. On doit pouvoir transposer le bienfait de ce contrôle à la réception dans la rénovation : si un système doit être mis en œuvre, en neuf comme en rénovation, il faut le vérifier !"

Le représentant des industriels du CVC réaffirme le message de la filière : "Il n'y a pas de rénovation sans une ventilation conforme, bien posée et bien entretenue". Au fait, et l'IA dans tout ça ? "Les outils numériques peuvent rendre visible quelque chose d’invisible, mais il ne faut pas compter sur l’action humaine pour gérer la QAI : si le système fonctionne bien, il doit pouvoir fonctionner tout seul", tranche Valérie Leprince.


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