Dans un secteur du bâtiment morose, la régulation "tire son épingle du jeu"

Par   Corentin PATRIGEON

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Publié le 28 mars 2025
Crédit photo ACR
Rachid Khadir, président du Syndicat ACR.
ANALYSE. Malgré une conjoncture difficile pour le bâtiment, la régulation et la GTB bénéficient d'une belle dynamique. Les dispositifs Bacs à forte valeur ajoutée continuent à se faire une place, bien que les solutions standards représentent toujours le gros des installations.

Les marchés de la régulation et de la gestion technique des bâtiments (GTB) se renforcent dans un contexte économique pourtant morose pour le secteur du bâtiment.

Lors d'une conférence de presse qui s'est tenue ce 28 mars 2025, le syndicat ACR (Automatismes du génie climatique et de la régulation pour l'efficacité énergétique des bâtiments), qui représente l'industrie française des Bacs (Building Automation and Control Systems, des systèmes techniques considérés comme le "3e pilier" de la performance énergétique des bâtiments résidentiels et non résidentiels, avec l'enveloppe et les équipements), a dressé un bilan 2024 très encourageant et s'attend encore à une montée en puissance de ses solutions en 2025.

Le marché a en effet continué à progresser l'année dernière, alors que la construction tombait en panne et que la rénovation montrait des signes de fatigue. L'instabilité économique et politique n'a pas non plus aidé.

"L’année 2024 est un bon cru pour la filière Bacs. On continue à tirer notre épingle du jeu malgré une activité du bâtiment en berne", souligne le délégué général d'ACR, Florent Trochu. "C'est une satisfaction pour les industriels qui récoltent les fruits de leurs investissements collectifs pour se développer sur la base de référentiels techniques connus et reconnus."

De fortes disparités selon la typologie des bâtiments

Le développement du secteur se base sur ses "fondamentaux" : le bâtiment, quel qu’il soit, est analysé pour savoir comment réguler au mieux sa consommation énergétique.

Les industriels partent du principe qu'il existe des solutions de régulation adaptées à tout type de bâtiment et pour tous les usages de l’énergie (chauffage, refroidissement, eau chaude sanitaire, ventilation, éclairage), quel que soit le type d’énergie qui entre dans le bâtiment, et pour tous ses vecteurs énergétiques (eau, air, électricité).

La difficulté tient au fait que propriétaires, installateurs et utilisateurs n'ont pas tous le même niveau de maîtrise technique et juridique des Bacs pour parvenir à concilier sobriété, durabilité et confort.

En y regardant de plus près, on relève cependant de fortes disparités selon la typologie des bâtiments et les mécanismes de marché qui y sont liés. Le tertiaire bénéficie d'une bonne dynamique, entretenue par l'obligation de répondre aux objectifs de résultats du dispositif Éco-énergie tertiaire d'ici à 2030 et les échéances du décret Bacs.

"L’année 2024 est un bon cru pour la filière Bacs. On continue à tirer notre épingle du jeu malgré une activité du bâtiment en berne."

- Florent Trochu, délégué général d'ACR

Dans ces conditions, l'installation de systèmes de régulation "s’impose comme un choix stratégique rentable". Les besoins propres à chaque bâtiment et les stratégies de rénovation mises en oeuvre scindent le marché en deux : les systèmes à haute valeur ajoutée (programmation horaire, distinguo de la température de consigne par pièce...) sont adoptés pour quelques bâtiments toujours plus performants et intelligents, quand les Bacs standards se multiplient dans un grand nombre de sites.

Dans le résidentiel, la chute du neuf et l'instabilité des aides à la rénovation pénalisent l'essor des dispositifs d'optimisation, de régulation et de programmation.

Ceux-ci constituent "toujours une solution efficace et rentable pour améliorer le confort en minimisant la consommation énergétique dans ces bâtiments", mais "ce message n’est pas toujours lisible selon que l’on cherche à construire des logements performants et conformes à la réglementation, ou que l’on cherche des solutions de rénovation énergétique abordables en s’appuyant sur les dispositifs d’aides financières", explique Florent Trochu.

La haute valeur ajoutée progresse mais le standard domine

Cette situation a entraîné une baisse de 5,4% de l'activité régulation en 2024, à 214,4 millions d'euros. Les industriels sont particulièrement inquiets de la chute de 9,9% de la boucle à eau chaude. Certes, le décret régulation de juin 2023 permet d'installer des dispositifs de régulation pour améliorer la performance de tous les systèmes de chauffage et de refroidissement, sans devoir forcément remplacer le générateur.

Mais le pli a du mal à prendre : les thermostats d'ambiance reculent de 6,2%, en dépit de la percée des solutions performantes (type programmation horaire pièce par pièce), financées par le coup de pouce "Pilotage connecté du chauffage" des CEE (certificats d'économie d'énergie) mais qui font les frais des effets d'aubaine et des fraudes.

Crédit graphique ACR

Solution réglementaire par défaut, les robinets thermostatiques accusent -5,2%. Solution dépassant les exigences réglementaires, les robinets à têtes électroniques progressent à l'inverse de 5,4%, en partie grâce au coup de pouce des CEE.

L'instabilité règne sur le marché de la régulation de la distribution énergétique, les industriels attendant la transposition en droit national de la directive européenne de performance énergétique des bâtiments, révisée en 2024, pour y voir plus clair. "L’équilibrage hydraulique est le parent pauvre de nos dispositions réglementaires", reconnaît Florent Trochu, qui ajoute : "On va aussi essayer de pousser l’éclairage intelligent".

Le réchauffement climatique pousse les systèmes de refroidissement

La ventilation et la climatisation subissent moins les affres de la conjoncture et ont vu leur activité stagner (+0,7%) l'année dernière. Dans le détail, les régulateurs pour terminaux CVC communicants sous protocoles standardisés ouverts (BacNet, KNX...) bondissent de 50%, poussés par les rénovations s'inscrivant dans le cadre des décrets tertiaire et Bacs. "De manière générale, la progression des systèmes de refroidissement traduit une tendance forte dans un contexte d’adaptation au réchauffement climatique", note Florent Trochu.

La GTB affiche pour sa part une excellente forme, à +30,8%, tirée par l'approche des échéances des décrets Bacs I et II ainsi que du dispositif Éco-énergie tertiaire dès 2030, qui exigent l'installation de systèmes standards dans les bâtiments équipés de systèmes CVC supérieurs à 290 kilowatts en 2025, et 70 kW en 2027.

Crédit graphique ACR

Les solutions de classe A ou B ont eu la cote jusqu'en juin dernier, grâce aux opérations financées par les CEE avec une bonification des pouvoirs publics. Cette dernière a pris fin durant l'été, ce qui a cassé la mécanique.

Les unités de traitement local ont néanmoins enregistré une croissance de 26%, réflétant "une tendance longue du marché à intégrer de plus en plus d’intelligence dans les systèmes de gestion technique pour améliorer la performance énergétique et le confort, mais aussi bénéficier des données traitées pour développer d’autres services et usages (gestion des salles, des accès...)".

Selon le syndicat ACR, "un grand nombre de propriétaires de bâtiments s’équipent de solutions technologiques standards juste conformes aux exigences réglementaires. Ces opérations représentent une part importante du volume des opérations engagées en 2024 et conduisent par exemple à maintenir la bonne santé de certaines technologies standards, comme les vannes de régulation à secteur."

Tendance continue à l'externalisation des services

Les activités de services, pour leur part, ont légèrement diminué de 0,9%. Il s'agit ici de l'assistance technique, de la formation, des matériels de rechange, des dépannages et des contrats de maintenance ; des opérations à haute valeur ajoutée assurée par les constructeurs, industriels et réseaux d'intégrateurs.

"Enjeu fondamental" de la filière, le commissioning (mise en service) et la maintenance prédictive n'arrivent pourtant pas à pousser le marché. Ce qui soulève un point de vigilance pour le syndicat ACR : "L’attractivité du marché des Bacs dans le tertiaire conduit de nombreux propriétaires et exploitants à externaliser les opérations de montage et de services associés. Nous attirons l’attention des propriétaires des installations sur la nécessaire anticipation des inspections obligatoires introduites par le décret Bacs II du 7 avril 2023."

Crédit graphique ACR

Des travaux sont en cours entre l'Alliance Bacs (l'élargissement, depuis 2023, du syndicat ACR pour réunir l’ensemble des profils complémentaires aux industriels) et les organismes accrédités pour préciser les objectifs et le référentiel de contrôle. Le secteur a aussi planché, avec la DHUP (Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages), sur la rédaction d’une foire aux questions ministérielle sur le décret Bacs.

Intégrer aussi la cybersécurité

Et pour 2025 ? Les industriels affichent leur confiance dans leur capacité à déployer les Bacs pour respecter la réglementation. Le marché étant en plein essor, ils voient l'arrivée de nouveaux acteurs à la fois comme un moyen de partager des bonnes pratiques, et comme un défi pour éviter les contre-références majeures. D'autant que les entreprises auront besoin d'une main-d'oeuvre qualifiée pour répondre à la demande.

Tous les référentiels Bacs pour le bâtiment devraient rester stables, avec seulement quelques évolutions à la marge, et la filière veut tenter de se fédérer autour d'une compréhension commune des textes et de bonnes pratiques tout au long de la chaîne de valeur.

"Nous sommes engagés à continuer la structuration du marché et nous impliquons dans la réussite du déploiement pour atteindre les enjeux de transition énergétique tout en respectant les règles de l’art."

- Rachid Khadir, président du syndicat ACR

Au-delà des indicateurs énergie et carbone, elle attire d'ailleurs l'attention sur l'enjeu de la cybersécurité car la transposition prochaine des directives européennes en la matière renforceront la demande. "Sur le plan technique, le marché du bâtiment n’est pas bien préparé pour la cybersécurité", confirme Dan Napar, à la tête de l'association BacNet France.

L'activité globale ne risque pas de faiblir puisque des millions de bâtiments sont encore peu, voire pas équipés, mais la mesure de la consommation d'énergie réelle demeure "le point de développement important" pour l'Alliance Bacs.

L'échéance de 2030 en ligne de mire

Celle-ci se félicite au passage de la dizaine de nouveaux adhérents aux profils variés (collectivités, BET, bureaux de contrôle CEE...) qui l'ont rejointe en 2024. De la maîtrise d'ouvrage aux distributeurs et exploitants, en passant par les AMO et les intégrateurs, la totalité de la chaîne de valeur y est représentée. Airzone, Comap, Danfoss, Siemens, Apave, Bureau Veritas ou encore Rexel figurent parmi ses membres.

"Nous sommes engagés à continuer la structuration du marché et nous impliquons dans la réussite du déploiement pour atteindre les enjeux de transition énergétique tout en respectant les règles de l’art", résume Rachid Khadir, le président du syndicat ACR. "Ce qui nous donne un grand optimisme pour l’avenir", complète Florent Trochu. Le cap vers la massification est donc maintenu, sachant que d’ici à 2030, "il faudra équiper tous les bâtiments en automatismes".


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