"Rénover en 2025, c'est rénover bas-carbone et rénover 'pour longtemps'", B. Georges (Oteis)

Par   Bernard REINTEAU

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Publié le 30 avril 2025
Crédit photo Bernard Reinteau pour XPair
Bruno Georges, directeur de l’innovation et directeur développement grands projets chez Oteis.
PERFORMANCE. Après s’être forgé une démarche originale au sein de son BET indépendant, Bruno Georges œuvre depuis près de neuf ans comme directeur de l’innovation et du développement des grands projets chez Oteis. Il y applique un management destiné à accélérer le changement des pratiques.

XPair : Vous êtes un ingénieur connu pour des positions innovantes sur la place de la construction dans l’environnement. Quelle est votre fonction au sein du bureau d’études multidisciplinaire Oteis ?

Bruno Georges : À mon arrivée il y a presque neuf ans, j’ai pris une fonction transversale dans le groupe. Mon travail porte sur l’opérationnel, le développement de grands projets, et je suis directeur de l’innovation. Je m’occupe de MATRIciel, notre entité environnement (60 personnes), et du pôle Recherche & Développement OteisLab, véritable gisement de connaissances.

Oteis compte près de 800 personnes. Nous portons un véritable effort de communication interne dans notre entreprise. Nous le faisons avec nos collègues experts "verticaux" en structure, génie climatique, électricité, exploitation, industrie, eau et infrastructures, ainsi qu’en transversal avec MATRIciel pour évoluer et proposer l’excellence. Notre plan stratégique "Impulse 28" a des objectifs ambitieux, et nos réunions élargies régulières ont pour but de mettre tout le monde en cohérence pour y parvenir.

Quelle est votre méthode de travail ?

B. G. : Pour prendre un exemple : lors des réponses aux concours, je travaille avec les agences du groupe pour amener du partage, de l’intelligence collective, de l’innovation et proposer des idées, des concepts, dont ceux que j’ai pu développer auparavant. L’objectif est de dynamiser nos propositions, nos interactions avec les architectes, les responsables d’entreprises générales… le but étant d’initier du changement.

Ceci se traduit concrètement dans notre démarche en matière de rénovation. Ces ouvrages à rénover ont été conçus à des périodes où une série de contraintes actuelles, d’usages, de valeurs sociétales étaient différents, voire n’existaient pas. Rénover ne peut signifier seulement améliorer ; il faut intégrer des fonctions, des atouts qui ne sont pas présents. Il ne faut pas faire mieux, il faut faire autrement ET bas-carbone.

Ça n’est pas toujours simple. Le partage d’idées est précieux et nous aide à aller plus loin. La manière de faire que je mène contribue à orienter les choses dans ce sens d’ouverture. Rénover en 2025, ce doit être rénover bas carbone et de fait rénover "pour longtemps", a minima 25 ans, sans avoir à faire des travaux lourds. Sinon le concept même de bas-carbone n’existe pas.

Où en est la prise de conscience et les changements d’état d’esprit des acteurs de la construction ?

B. G. : Nous sommes dans un contexte qui change beaucoup plus vite que ce que l’on avait envisagé – même si les experts du climat nous le disent depuis plus de 25 ans, en nous prévenant : "Ça va faire mal !". Mais peut-être agissons-nous dans une forme pas assez adaptée à notre société de l’immédiat : on constate qu’un déni de science s’exprime de plus en plus, et pas seulement dans nos métiers.

Cela peut signifier aussi que nous, ingénieurs, un peu les "intellos de la bande", nous devons prendre notre part de responsabilité et reconnaître que nous pourrions mieux communiquer. Nous n’avons pas réussi à conscientiser suffisamment élus, donneurs d’ordre, management et institutions pour les orienter vers les nouvelles nécessités.

Quand j’entends dire : "Il faut travailler à l’adaptation à +4°C", pourquoi pas… Dans le même temps, les scientifiques du vivant disent : "Personne ne sait ce que signifie une planète à +4°C". Cela impliquerait de choisir dès maintenant ce que l’on abandonne et ce que l’on garde. Cette réflexion fait partie des signaux faibles sur lesquels on se penche encore très peu…

"Nous, ingénieurs, un peu les 'intellos de la bande', nous devons prendre notre part de responsabilité et reconnaître que nous pourrions mieux communiquer."

Pouvez-vous citer quelques sujets sur lesquels vous travaillez plus particulièrement ?

B. G. : La désartificialisation des sols, en lieu et place du traitement intégré des eaux pluviales, la rénovation bas-carbone… MATRIciel fonctionne comme une communauté active qui échange beaucoup sur ces sujets. Il faut aussi parler des moyens et méthodes que nous mettons en œuvre pour trouver des axes d’actions concrètes. Le partage et l’intelligence collective reposent en grande partie sur l’association du "green" et du "digital engineering", ligne de base du Groupe Oteis.

Dans MATRIciel, des ingénieurs et techniciens font des calculs mathématiques et physiques, d’autres, des calculs plus réglementaires (RE2020, ACV…). Tout cela est mis en dynamique par notre "green team", des responsables de projets expérimentés qui ne travaille pas comme une unité commerciale indépendante, hors-sol. MATRIciel est composé de personnes réparties dans toutes nos agences… et ces personnes elles-mêmes échangent – nous avions adopté la visio-conférence dès 2018 !

Cette simplification et ce travail collaboratif amplifient les connaissances, nos séminaires réguliers viennent formaliser ces acquis. La direction de notre groupe juge les démarches et les initiatives selon les résultats… et nous en avons !

Globalement, comment voyez-vous évoluer le secteur de l’ingénierie du bâtiment ?

B. G. : Beaucoup de gens ont compris l’évolution en cours, même s’il y a des contraintes et des atermoiements décevants – récemment, sur le zéro artificialisation nette. La profession reste encore en deçà de ce qu’elle devrait être, la différence entre comprendre et agir est encore trop forte.

En clair, une majorité ne s’oriente pas encore sur ces démarches, et l’on avance de manière différenciée, disparate. Cependant, partout, dans les bureaux d’études, chez les promoteurs, dans les entreprises, il y a des pépites, des porteurs d’initiatives intéressantes, des consciences activées, du sens, mais encore bien trop minoritaires…

"La profession reste encore en deçà de ce qu’elle devrait être, la différence entre comprendre et agir est encore trop forte."

Je viens d’apprendre dans une conférence que le promoteur Nacarat, qui avait décidé de produire 25% de ses constructions en passif, va passer à 100%. C’est un acte qui se traduira par des résultats, y compris commerciaux. L’intérêt, c’est que d’autres sur le même marché, avec le même modèle économique, vont se rendre compte que c’est possible, que ça marche.

Souvent, on avance des objections financières… Mais tout dépend de l’endroit où on l’investit, de l’endroit où l’on met les moyens. Dire que le marché fera les choses est faux, il est fait de court terme, de trop court terme pour porter de la vision.

Le passif doit-il lui aussi évoluer ?

B. G. : Lors d'une intervention sur Passibat 2025, j’ai évoqué qu’il faudra un jour de la climatisation active dans la majorité des bâtiments. Pour un "écolo" comme moi, ce n’est pas aisé de dire ça, de reconnaître qu’on a un peu échoué à prévenir ce moment…

Hormis quelques cas rares dans les départements méditerranéens et dans les zones soumises à des contraintes acoustiques fortes, si l’on fait "comme il faut", on est capable dans la très grande majorité des cas de donner aujourd’hui du confort sans climatisation active. Il existe des dispositions de plan masse, de protections solaires, des équipements comme les brasseurs d’air… qui le permettent. Sauf que dans un délai de moins de 25 ans – moins de la moitié d’une ACV –, peut-être même bien plus rapidement, on va devoir mettre du froid actif.

Aujourd’hui, continuer à proposer du résidentiel en mettant des radiateurs, c’est manquer de vision et ce n’est pas bas-carbone. Dans 5, 10 ou 15 ans, il faudra enlever ces radiateurs et mettre quelque chose d’autre en place pour émettre du froid. La solution de facilité des systèmes splits ne serait pas une bonne chose en termes d’impacts environnementaux, de coût, de poids carbone, de maintenance et d’économie circulaire.

"Dire que le marché fera les choses est faux, il est fait de court terme, de trop court terme pour porter de la vision."

Nous sommes par exemple en train de mener une opération tertiaire dans laquelle il n’y a pas de production de froid. Cependant, les réseaux secondaires, équipés d’émetteurs radiants, seront capables d’amener du froid actif pour des conditions météo caniculaires telles qu’on va les connaître.

L’intention est de faire les choses progressivement : lorsque ce sera nécessaire, une production de froid sera mise en place et fournira 10, 15, 20 W/m² ; la GTC répartira cette énergie selon les besoins et les usages. Au fur et à mesure des évolutions des canicules, on remettra 10 ou 20 W/m²… On installe une démarche linéaire, d’adaptation, et on anticipe ce que l’on vivra demain en restant le plus possible bas-carbone et crédible économiquement en limitant le portage.

J’ai rappelé dans cette intervention qu’il faut bien sûr commencer par réduire les besoins de chaleur – on maîtrise le sujet depuis longtemps – et surtout de froid. La construction passive est une excellente réponse puisque du fait de la qualité de l’enveloppe, on réduit considérablement les charges d’été et les moyens actifs à mettre en œuvre pour le rafraîchissement.

Cependant, je suggère qu’il serait bien que la fiche de calcul PHPP du Passiv Haus soit augmentée d’un onglet spécifique aux protections solaires et à la parcelle. Cela sensibiliserait mieux maîtres d’ouvrages et concepteurs au fait que l’orientation du bâtiment change la donne en matière de résilience aux canicules. Il devient essentiel de travailler aussi le plan masse, l’impact des arbres, de l’eau et du vivant pour réduire la charge d’été… La contrainte est désormais très forte.

Il n’y a pas que le bâtiment ; est-ce que vous vous intéressez à l’industrie ?

B. G. : Oteis a intégré en 2024 un bureau d’études d’une quarantaine de personnes spécialisé en industrie, Falco by Oteis. Pour une approche plus efficace, le processus doit être intégré au projet global. Cela permet de valoriser les éventuelles chaleurs fatales et de ne pas libérer dans l’urbain cette énergie. Cette ingénierie industrielle devient une ressource transversale pour tout le groupe afin d'améliorer la performance des sites.

Il y a une vraie action vers l’industrie : nos enjeux sont de décarboner les activités, de valoriser toutes les chaleurs fatales, in – ou ex-situ. À Angers par exemple, nous participons à la rénovation du site de production de serveurs de l’industriel Atos. Après une étude de faisabilité de l’Ademe (Agence de la transition écologique), nous avons le projet de réinjecter la chaleur fatale de refroidissement des processus du site sur le réseau de chaleur urbain Alter.

Dans ce domaine, des solutions sont développées, et l’objectif est de généraliser la valorisation de toute chaleur fatale. Des opérations entre des sites industriels et résidentiels proches ont été réalisées, souvent avec un relèvement de température pour répondre aux contraintes de chauffage traditionnel. Du fait de notre dimension multi-compétences et de nos interventions à l’échelle urbaine avec notre pôle aménagement, nos prescriptions de construction et de stratégies énergétiques globales sont bien plus pertinentes et efficaces.

"La construction passive est une excellente réponse puisque du fait de la qualité de l’enveloppe, on réduit considérablement les charges d’été et les moyens actifs à mettre en œuvre pour le rafraîchissement."

Nous préconisons des performances Passiv Haus et des systémiques techniques très bas niveau d’énergie pour augmenter encore l’efficacité "énergie/carbone/énergie grise globale". Avec de très faibles besoins et une technologie telle que celle de la dalle active, par exemple bois-béton connecté, les températures moyennes des énergies fatales industrielles seraient directement exploitables… Du "low-tech natif" en quelque sorte.

Pour aller plus loin sur ce concept, il reste des obstacles à surmonter, nous y travaillons. C’est ce qui est passionnant en ingénierie : les contraintes changent et il faut s’adapter. Cette capacité à proposer du challenge rend aussi l’entreprise Oteis attractive pour intégrer de futurs collaborateurs. Dans le domaine industriel aussi, tout est affaire d’échange, de travail collaboratif.

Nous avons une demande forte en matière de décarbonation de l’industrie. Le problème étant, dans ce secteur, l’inertie de la décision, et de fait le changement de cap est souvent délicat, culturel et long. On parle de résistance au changement, d’accompagnement, d’acculturation… Oteis propose des missions de conseil stratégique sur ces domaines, et notre accompagnement se fait aussi sur les dimensions culturelles et managériales de nos clients, ainsi que des clients de nos clients. C’est bien un mécanisme d’appropriation.

Quels projets ?

B. G. : Nous mettons en place les processus pour nous challenger nous-mêmes. Il faut permettre à nos ingénieurs de se dire : si j’ai un problème à régler, je dois comprendre quelle est LA question. L’objectif ensuite n’est pas d’y répondre seul, mais bien de construire la réponse la plus pertinente, la plus adaptée.

Si je travaille avec d’autres, quels que soient leurs niveaux d’expertise, le résultat sera meilleur que ce que je produirais seul. Ce temps d’échange avec les autres, il faut toujours le prendre, c’est réellement du temps gagné, plus de sécurité, plus de qualité… Du plaisir aussi, et plus encore, un partage de l’ivresse de l’intelligence collective !


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