En neuf comme en rénovation, "beaucoup d’a priori doivent être corrigés" sur le passif

Par   Bernard REINTEAU

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Publié le 28 avril 2025
Crédit photo Bernard Reinteau pour XPair
Ivan Baudoin, président de La Maison du Passif.
PERFORMANCE. Président de l'association La Maison du Passif, Ivan Baudoin, ingénieur ESTP passé chez Bouygues Construction, décrit l’état des lieux de la construction passive pour laquelle il milite et contribue via son entreprise. Si de plus en plus d’élus s’engagent, les maîtres d’ouvrage semblent encore timorés.

XPair : On ne dit plus "La Maison Passive"...

Ivan Baudoin : Passiv Haus signifie "bâtiment passif", initialement trop vite traduit par "La Maison Passive". Mais c’est très réducteur en termes de communication, car ne portant que sur les maisons, les logements. L’une des choses que j’ai demandées à mon arrivée à la présidence il y a deux ans, est de passer à "La Maison du Passif". Ce, pour sortir de la maison individuelle et rayonner sur le tertiaire, les bâtiments publics…

Quel est l’état des lieux du passif aujourd’hui en France ?

I. B. : Nous pouvons l’apprécier au travers des certifications. Il existe aujourd’hui plusieurs centaines de bâtiments certifiés - ce sont plusieurs milliers de mètres carrés de bâtiments certifiés. Tous les ans, des centaines d’architectes et d’ingénieurs sont formés. Et le salon Passibat reçoit tous les ans des élus, députés ou sénateurs, qui soutiennent le label. Cette année, l’affluence est de quelque 2.000 personnes, très largement des ingénieurs, des architectes, des promoteurs, des élus et responsables de collectivités locales.

Pour autant, le label Passiv Haus ne fait l’objet d’aucune aide de l’État, alors que nous avons une très nette longueur d’avance sur la réglementation. À ce titre, les choses évoluent très doucement, et la grande majorité des bâtiments neufs ou rénovés obéissent encore à des règles que nous estimons obsolètes.

Couvrez-vous tout le territoire ?

I. B. : Des acteurs de la construction certifiés sont présents dans toutes les régions de France. Certaines régions sont plus en pointe : l’Île-de-France, le Nord, la Bretagne, la région Rhône-Alpes, l’Est... ont plus d’avance. Nous cherchons à développer des régions comme l’Occitanie, l’Aquitaine.

On peut aussi regarder notre position vis-à-vis d’autre pays. L’Allemagne, naturellement, est en tête, et la France est bien placée. À noter que la Chine détient beaucoup de bâtiments certifiés, et le monde anglo-saxon est en retrait. En France, on remarque un fort engagement associatif, mais on n’enregistre pas un vrai basculement en termes de volumes.

"On le sait, les réglementations sont des garde-fous, des minima à ne jamais dépasser. Mais cela n’empêche pas les maîtres d’ouvrage, les maîtres d’œuvre, les industriels comme les entreprises de vouloir aller plus loin."

Quelles sont vos avancées récentes les plus marquantes ?

I. B. : Nous avons beaucoup élargi le concept du passif en parlant de matériaux biosourcés, de frugalité… Ce, pour aller vers une conception holistique des constructions. Mais pour ce qui concerne le passif, nous appliquons des principes de physique du bâtiment qui ont été formulés par la Passiv Haus Institut il y a plus de trente ans.

Pour leur part, les réglementations appliquées en France depuis cette date montent d’une marche tous les trois ou cinq ans, en fonction d’accords de l’ensemble de la chaîne de décision – pouvoirs publics, concepteurs, industriels, entreprises… Mais la physique du bâtiment est ce qu’elle est, elle ne bouge pas. Et à l’avenir, le standard passif sera toujours le même.

Passiv Haus repose sur une démarche volontaire. Avez-vous besoin d’un soutien politique et des administrations ?

I. B. : Oui, nous en sommes convaincus. En premier lieu, en raison du changement climatique, nous devons développer une transition énergétique à marche forcée. Les personnes informées et concernées sont conscientes qu’il faut bouleverser, bousculer les manières de concevoir et de construire les bâtiments.

On connaît les niveaux de consommation d’énergie et d’émissions de CO2 de ce secteur, et il faut avancer rapidement et efficacement. Les réglementations thermiques et environnementales ne vont pas assez vite. Passiv Haus est pratiquement trois fois plus exigeant que la RE2020 sur les aspects thermiques. Et le retard est encore plus sensible pour ce qui concerne la rénovation.

Pour donner un exemple concret, la mairie de Rouen impose et met ses bâtiments publics au standard passif. D’autres municipalités, même plus petites, mènent des démarches similaires. Elles font volontairement le choix d’aller bien plus loin que la réglementation.

On le sait, les réglementations sont des garde-fous, des minima à ne jamais dépasser. Les parlementaires font évoluer les choses. Mais cela n’empêche pas les maîtres d’ouvrage, les maîtres d’œuvre, les industriels comme les entreprises de vouloir aller plus loin. Nous discutons avec les collectivités locales, par exemple avec la mairie de Paris, pour pousser des exigences plus loin qu’on ne le fait aujourd’hui.

"Des générations d’architectes ont été formés en prenant pour références des ouvrages qui sont des passoires thermiques."

Pour autant, comment vous accueillent le CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment), les directions du ministère de la Transition écologique… ?

I. B. : C’est l’objet de notre association d’aller rencontrer ces structures et administrations pour promouvoir le passif. Nous constatons qu’il y a une certaine méconnaissance, des préjugés... Le fait qu’originellement le standard était orienté vers les thermiciens, qu’il était très technique, trop scientifique et éloigné de la pratique pour les architectes… Tout cela reste dans les mémoires.

Selon nous, cette approche est désuète et n’a plus lieu d’être. Lors des interventions sur Passibat, il a été souligné que des générations d’architectes – ceux qui ont aujourd’hui 40 à 50 ans – ont été formés en prenant pour références des ouvrages qui sont des passoires thermiques. Ils n’ont pas été sensibilisés au passif dont on parle plus fortement depuis une dizaine d’années. Les architectes formés ne sont pas ceux actuellement "aux manettes".

Quels sont vos projets pour les années à venir ?

I. B. : Nous préparons la passation de présidence. Quant à notre projet depuis mon élection, il comptait quatre axes de travail. Le premier portait sur la communication, c’est-à-dire, parler du passif, sensibiliser, expliquer les alternatives au parpaing et au polystyrène qui constitue 95% de la rénovation et de la construction neuve – ce que nous estimons être une vraie catastrophe à l’époque à laquelle nous sommes.

En deuxième lieu : former. Nous allons dans les écoles d’architecture et d’ingénieurs pour leur expliquer ce que l’on peut faire mieux que ce que l’on fait aujourd’hui. Troisième point : labelliser des bâtiments. L’association décerne ces labels aux bâtiments neufs ou rénovés qui font l’objet d’une démarche particulièrement ambitieuse. Et quatrièmement, fédérer, notamment lors d’événements comme Passibat ou avec des réunions thématiques et des webinaires pour partager de bonnes pratiques.

Sur ce socle, nous souhaitons rayonner, parler avec l’Ordre des architectes, parler aux politiques. Beaucoup d’a priori doivent être corrigés – exemple, le passif serait incompatible avec le biosourcé, ce qui est faux… Et pour parler de mon engagement personnel – je suis directeur général de Positive Home –, l’idée est concrètement de faire. Nous pouvons présenter plus d’une centaine de projets, tous passés au crible du passif, réalisés en matériaux biosourcés. Nous démontrons que c’est possible et nous développons les outils pour que ce le soit.

En outre, pour ce qui concerne La Maison du Passif, nous avons fait évoluer sa gouvernance. Initialement, le président disposait de la gouvernance et de la gérance de l’association. Nous avons estimé qu’il fallait cloisonner les deux fonctions. Nous sommes en train de transférer la gérance aux collaborateurs – l’association compte six permanents. La présidence portera la vision stratégique. Par ailleurs, un nouveau président se distinguera parmi les administrateurs. Son nom sera annoncé le 13 juin lors de notre assemblée générale.


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