Pourquoi l'électrification "à tout prix" pourrait compromettre le rythme de la transition

Par   Manon SALÉ avec C.P.

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Publié le 24 février 2025
iStock/Pedro Tzontemoc
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ANALYSE. Lors de sa conférence annuelle, l'association Négawatt est revenue sur les troisièmes versions de la Programmation pluriannuelle de l'énergie et de la Stratégie nationale bas-carbone. Leurs mesures pourraient, selon elle, remettre en question la politique de rénovation énergétique et le rythme de développement des énergies renouvelables.

L'électrification tous azimuts serait-elle un risque pour la politique de rénovation énergétique et le rythme de développement des énergies renouvelables ? C'est en tout cas ce qu'a avancé l'association Négawatt lors de sa conférence annuelle organisée fin janvier 2025, et durant laquelle elle est revenue sur les troisièmes versions de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC).

Alors que le Gouvernement travaille sur ces nouvelles feuilles de route énergétiques, l'association alerte pour sa part sur des orientations qui pourraient, selon elle, compromettre les efforts en matière d'économie d'énergie et de diversification du mix énergétique.

Des ambitions revues à la baisse

Hélène Gassin, présidente de Négawatt, a notamment déploré un recul des ambitions portées par la PPE et la SNBC 3. En matière de demande globale en énergie d'abord, ces documents sont jugés incohérents avec les exigences de la transition énergétique : la PPE 3 ne respecte pas les objectifs de la directive européenne sur l'efficacité énergétique, creusant un écart de 140 térawattheures. Or, si le Gouvernement justifie 50 TWh par la réindustrialisation, l'association s'interroge sur l'affectation des 90 TWh restants.

De plus, les projections se limitent à 2030 ou 2035, rendant difficile l'analyse des enjeux pour 2050. "Beaucoup de questions sur l'équilibre entre l'offre et la demande en électricité ou en biomasse surgiront après 2030", souligne Hélène Gassin.

Dans le secteur du bâtiment, la consommation énergétique cible a également été abaissée. "La PPE 3 propose une trajectoire moins ambitieuse pour 2030 que la PPE 2 pour 2028", regrette Hélène Gassin, alors que le secteur doit réduire de 53% ses émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030.

Une croissance électrique qui interroge

L'association s'inquiète en outre des projections en matière de production et de consommation électriques. D'après Yves Marignac, expert énergie et porte-parole de Négawatt, la PPE 3 envisage une augmentation de la demande de 15 TWh par an d'ici à 2035, tandis que les données de RTE (le gestionnaire du réseau haute tension) indiquent une tendance à la baisse.

Cette dynamique pourrait accentuer la concurrence entre le nucléaire et les ENR. "La Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) parle aujourd'hui de planifier la croissance des usages électriques afin de suivre la hausse de la production décarbonée", précise Yves Marignac. EDF, pour sa part, a récemment demandé "à revoir à la baisse les objectifs renouvelables, en particulier le photovoltaïque", si la demande ne suit pas cette hausse anticipée.

Dans ce contexte, Négawatt plaide pour ajuster les productions aux besoins réels. "Il faut produire ce que l'on consomme et non pas consommer ce que l'on produit", insiste l'association, qui préconise par conséquent de privilégier la sobriété et l'efficacité énergétiques afin d'adapter l'offre aux nouveaux usages.

L'impact sur le DPE et les travaux de rénovation

Olivier Sidler, expert bâtiment et autre porte-parole de Négawatt, met enfin en garde contre l'effet pervers de l'électrification "à tout prix" sur le diagnostic de performance énergétique (DPE). L'association dénonce les discussions visant à réduire le facteur d'énergie primaire de l'électricité dans les calculs, une mesure qui favoriserait son usage sans travaux de performance énergétique.

"Si cette mesure était adoptée, 1,2 million de passoires thermiques pourraient gagner une classe sans rénovation", prévient-il. En facilitant l'amélioration du DPE sans intervention réelle sur le bâti, cette modification pourrait discréditer les travaux de rénovation nécessaires et inciter à l'installation de pompes à chaleur sans isolation préalable, ce qui inquiète fortement RTE.

"Électrifier pour électrifier, sans changer l'enveloppe, n'est absolument pas une bonne méthode", tranche Hélène Gassin. Olivier Sidler renchérit : "Nous allons arriver sur le marché avec des étiquettes complètement trompeuses", au risque de saper "la confiance des Français dans le seul outil de pilotage de la rénovation".

Face à ces dérives potentielles, l'association recommande de lutter contre les DPE de complaisance et de favoriser les pompes à chaleur via Ma prime rénov'.


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