Quand faire des économies finit par coûter cher

Par   Dominique BIDOU

Lettres d'experts
Mis à jour le 12 juin 2025
Publié le 12 juin 2025
Crédit photo iStock/Christian Horz
Si l'heure est aux économies budgétaires, il est toutefois dommageable que celles-ci se traduisent à plus long terme par de nouvelles dépenses.
LE REGARD DE DOMINIQUE BIDOU. Si l'heure est aux économies budgétaires, il est toutefois dommageable que celles-ci se traduisent à plus long terme par de nouvelles dépenses, dénonce le président d'honneur de l'Alliance HQE-GBC. Et si on changeait notre manière de raisonner ?

La France est endettée. Il faudra bien un jour rembourser, et pour cela retrouver une économie vaillante qui dégage suffisamment de profits et qui supportera les prélèvements nécessaires. Rappelons que nous n'avons pas voté de budget à l'équilibre depuis 1974 et les chocs pétroliers. Le déficit public s'est accru régulièrement, avec l'espoir que la croissance permettra de rembourser. Espoir déçu donc, depuis 50 ans.

Il nous faut une économie saine, et pour cela, que nos choix d'aujourd'hui permettent d'économiser de l'argent demain. Une règle de bonne gestion tout simplement, mais qui semble négligée en ces temps de simplification et de préparation du prochain budget. Objectif : évidemment de faire des économies, mais il semble bien que certaines décisions ne fassent, à l'inverse, que creuser la dette.

Des ambitions, mais sans les moyens qui devraient aller avec

Chaque jour court de nouvelles rumeurs sur les suppressions d'organismes, ou des abandons de politiques de longue haleine. Il a été question de supprimer l’Ademe (Agence de la transition écologique) et l’Office français de la biodiversité (OFB). L’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France) semble également visée, de même que l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail).

Parmi les dispositifs menacés, se trouve par exemple le diagnostic de performance énergétique (DPE), bien utile malgré ses imperfections. Les zones à faibles émissions (ZFE), elles, ont déjà été supprimées par le Parlement. Un défaut ? Une difficulté ? On supprime ! La règle est simple et permet de faire des économies tout en satisfaisant des forces politiques.

Cette manière de faire illustre un phénomène hélas courant : des ambitions, sans les moyens qui devraient les accompagner. Rappelons-le : la pollution atmosphérique coûte très cher, un prix payé en partie par de la souffrance, toujours difficile à traduire en argent, mais aussi une autre partie comptabilisée en argent sonnant et trébuchant, public et privé.

Soutenir dans la durée

Un rapport sénatorial de 2015 donne le chiffre de 106 milliards d'euros par an. Il s'agit pour l'essentiel de dépenses de santé, y compris les arrêts de travail avec leurs indemnisations et les désordres qui en résultent sur les unités de production. Une déclinaison particulière d'un constat plus global, que notre santé dépend à 75% de facteurs environnementaux.

La mutation du parc automobile et les politiques en matière de transport de marchandises et de mobilité (transports en commun, circulations douces) sont des instruments incontournables de cette politique à la fois de santé publique et de finances. Le rapport sénatorial voté à l’unanimité des 17 membres de la commission, l'exprime clairement : "La pollution n’est pas qu’une aberration sanitaire, c’est aussi une aberration économique".

"Dès que la durée entre dans les calculs, avec les coûts de fonctionnement, la durée de vie des équipements, leur capacité à évoluer et à s’adapter aux besoins, il apparaît que les économies coûtent cher."

Encore faut-il que les instruments de cette politique soient soutenus dans la durée. La transformation de la mobilité s'étale sur plusieurs dizaines d'années. Les ruptures dans ces politiques, les "stop-and-go", les incertitudes sur les échéances, sont autant d'obstacles au bon déroulement de ces transformations.

L'échec, pour l’instant, de la voiture électrique à 100 € par mois a permis de dénoncer le caractère antisocial des ZFE et de les condamner, alors qu'en bonne économie, il aurait fallu accélérer le renouvellement du parc. L'argent investi aurait permis de réaliser rapidement des économies substantielles et un assainissement de nos budgets. L’abandon des ZFE et les retards dans l’électrification du parc automobile sont des économies immédiates qui coûteront cher demain.

Raisonnement hors du temps

C’est comme les études préalables aux grands projets, et les consultations du public qui vont avec. Évidemment, elles coûtent un peu d’argent, mais les erreurs de positionnement ou d’intégration de contraintes diverses, ou encore de dimensionnement, coûtent bien plus cher, surtout quand il faut assumer pendant des dizaines d’années des erreurs de ce type.

Interrogé pour la rédaction d’un livre, "Le maire et son écoquartier" (voir ci-dessous*), Alain Juppé, alors maire de Bordeaux, évoquait le temps consacré aux consultations. Il reconnaissait qu’elles retardaient la sortie des projets, mais il concluait sur l’amélioration apportée. Une année de plus en amont, mais un gain en qualité pour un équipement qui rendra service pendant des dizaines d’années.

En général, la prévention et la recherche de la qualité peuvent coûter cher dans un raisonnement hors du temps. De mauvaises décisions pourraient en découler, pour passer un cap par exemple. Dès que la durée entre dans les calculs, avec les coûts de fonctionnement, la durée de vie des équipements, leur capacité à évoluer et à s’adapter aux besoins, il apparaît que de telles économies coûtent cher. Nos déficits actuels sont en partie le résultat de choix de ce type. Des gains tout de suite, mais des pertes demain.

(*) Le maire et son écoquartier, Dominique Bidou et Gwenaëlle Carfantan, Victoires Éditions, 2013


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