"Pour vraiment lutter contre la fraude, nous devrions être fortement appuyés par l'État", G. Sénior (Qualibat)

Pourriez-vous rappeler brièvement le rôle de Qualibat dans le secteur de la construction, notamment au regard de l’attribution du label RGE (Reconnu garant de l'environnement) ?
Gérard Sénior : Qualibat est une association de loi 1901 qui a été fondée en 1949 au moment de la reconstruction. À l’époque, l’État a souhaité organiser les opérations et définir quelles étaient les entreprises qui étaient à même de conduire les travaux. La structure associative a donc été mise sur pied, à l’initiative des pouvoirs publics, en partenariat avec les organisations professionnelles, la Capeb (Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment) ou encore le syndicat des architectes de l’époque.
Pour l’État, il était primordial de sécuriser la commande publique, en se posant la question de l'attribution d’éco-conditionnalité. En clair, il lui fallait sélectionner les entreprises, et il s’est alors tourné vers Qualibat, mais aussi vers Qualifelec pour la partie lot électricité. L’État a donc voulu conventionner avec nous afin que nous attribuions un label qui existe encore aujourd’hui, qui est le RGE, et qui était octroyé à des entreprises ayant une qualification métier.
Aujourd’hui, sur 50.000 entreprises, 40.000 disposent du label RGE, avec des demandes qui ont, à un moment, atteint 70.000 dossiers.
"Pour l’État, il était primordial de sécuriser la commande publique en se posant la question de l'attribution d’éco-conditionnalité."
Ces sociétés comptent pour 80 % du chiffre d’affaires du secteur du bâtiment, puisque nous avons l’ensemble des grands acteurs du secteur, mais aussi de plus petites structures qui sont allées chercher ce label soit par opportunité, soit par réel intérêt pour cette qualification professionnelle.
Quelle est aujourd’hui la dynamique de ce label RGE ?
G. S. : Chaque année, nous établissons un "reporting" et un bilan du label, et nous observons depuis 18 mois une forte activité en première demande, avec 18.000 entreprises en attente de label. Au total, nous avons en moyenne 40 % de transformation entre une demande et une attribution de qualification. Ces premières demandes émanent d'entités que nous n'avons jamais vues, qui sont parties ou qui reviennent.
Les entrepreneurs sont traités comme en première demande parce qu'ils ont perdu leur qualification, qu’ils ne l’ont pas renouvelée ou que nous avons stoppée de notre côté. Nous faisons face, en effet, à une population très fluctuante sur le label RGE, notamment les entreprises de 0 à 5 salariés, qui vont vers le label en fonction des opportunités, des annonces gouvernementales ou encore de leur propre marché. La demande est donc en hausse, sur les 18 derniers mois, avec près de 1.000 dossiers.
"Au total, nous avons en moyenne 40 % de transformation entre une demande et une attribution de qualification."
L'an dernier, lorsque les pouvoirs publics ont annoncé qu’ils ne subventionnaient plus les chaudières, nous avons perdu 3.000 gaziers qui n'ont pas demandé le renouvellement de leur qualification.
Le label RGE est-il intimement lié à la situation du marché ?
G. S. : Très clairement, car l’équation est simple : une entreprise qui conduit des travaux, et qui ne dispose pas du label RGE, ne peut faire bénéficier ses clients des aides de l’État. Lorsque les annonces de suppression de certains dispositifs sont faites, les entreprises se détournent de la qualification RGE. Il existe également d’autres situations. Sur le lot fenêtres par exemple, qui sont désormais très peu subventionnées, les entreprises cherchent le label, parce que c'est pour eux une marque de qualité envers leurs clients.
Le dispositif MaPrimeRénov' parcours accompagné a été suspendu jusqu’en septembre, notamment pour lutter contre la fraude. Que fait Qualibat pour purger le système, puisque votre association est en première ligne ?
G. S. : MaPrimeRénov' fait appel à plusieurs thématiques distinctes et sa suspension s’explique de diverses manières. Il est vrai que l’Anah (Agence nationale de l'habitat) est submergée par les demandes et qu'elle n’est pas dimensionnée pour les traiter. D’autre part, il existe la question de l’enveloppe consommée ; et enfin, la troisième thématique qui explique la mise en pause du dispositif, c'est la fraude. Or, en matière de fraude, Qualibat a déployé sa propre politique en matière de prévention.
"Lorsque les annonces de suppression de certains dispositifs sont faites, les entreprises se détournent de la qualification RGE."
Il faut d’abord rappeler que, lorsque le grand rush du RGE est survenu, nous sommes montés à 70.000 qualifiés. Le problème est que de nombreux éco-délinquants y ont vu une opportunité de détourner le système. Afin de bloquer ces entreprises, nous avons mis en place des audits qui atteignent aujourd’hui 19.000 contrôles par an.
Le bilan nous montre que 83 % de ces audits sont sans non-conformités, tandis que 10 % présentent des non-conformités mineures. Le reste, soit 7 %, ce sont les entreprises non conformes et les éco-délinquants. Ces derniers n’ont désormais de cesse de nous attaquer en nous reprochant de les empêcher de travailler, et saisissent le tribunal administratif en arguant que la non-conformité de quelques chantiers ne remet pas en cause la totalité des opérations conduites.
Cet argument est fallacieux. Si, sur cinq audits d’une même entreprise, l’on retrouve cinq chantiers non conformes, cela est suffisant pour retirer le label, même si l’entreprise affirme qu’elle en fait des centaines chaque année.
"Le bilan nous montre que 83 % des audits sont sans non-conformités, tandis que 10 % présentent des non-conformités mineures. Le reste, soit 7 %, ce sont les entreprises non conformes et les éco-délinquants."
Le "business model" des éco-délinquants, ce sont les aides, et ce n’est pas un hasard s’ils se sont engouffrés, comme un seul homme, dans le dispositif de l’isolation à 1 €. Le seul moyen de lutter, c’est donc de bloquer ces sociétés à l’entrée.
Pour y parvenir, Qualibat a développé depuis trois ans des grilles de "scoring", qui nous permettent de voir, lors d’une demande d’obtention de label, tout l’historique d’une entreprise. En effet, lorsqu’une société fait une demande en Île-de-France, et qu’elle n’est pas acceptée, elle dépose un autre dossier dans une autre région, dans l’espoir de l’obtenir.
Il est désormais possible pour Qualibat de tracer ces demandes qui apparaissent et qui changent de région. Dans cette configuration, les demandeurs sont bloqués à l’entrée. Très peu d'entrants sont dorénavant des futurs éco-délinquants. Mais le curseur s’est déplacé. Ces entreprises se déplacent maintenant sur l’audit énergétique et le DPE (diagnostic de performance énergétique).
Actuellement, Qualibat qualifie les auditeurs énergétiques, en attendant de le faire pour les diagnostiqueurs. Nous avons aujourd'hui 85 % de refus d’entrée sur les demandes de qualification d’auditeurs énergétiques.
"Le 'business model' des éco-délinquants, ce sont les aides, et ce n’est pas un hasard s’ils se sont engouffrés comme un seul homme dans le dispositif de l’isolation à 1 €."
Il faut comprendre que c'est le point d'entrée des éco-délinquants. Parce qu'une fois qu'ils font l'audit énergétique, ils ont le pied dans la porte du client pour faire des travaux de rénovation et pour atteindre une meilleure étiquette. Qualibat est donc le premier point de blocage de l'éco-délinquance dans le secteur de la construction.
Votre rôle est donc primordial, et pourtant, MaPrimeRénov' est gangrénée par l’éco-délinquance. Comment l’expliquez-vous, si les garde-fous semblent si efficaces ?
G. S. : Qualibat n’est pas le seul opérateur du label RGE. Si nous avons renforcé nos mesures de contrôle, c’est loin d’être le cas partout. Le système de filtrage est différent chez d’autres fournisseurs du label, avec souvent des audits qui sont effectués après l’obtention du label. Les entreprises peuvent alors être sorties du système, mais les dégâts ont déjà été faits. Cela explique qu’il existe encore de nombreux canards boîteux.
Pour véritablement donner un coup de pied dans la fourmilière, il faut que nous puissions être fortement appuyés par la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), qui a le pouvoir d'actionner un certain nombre de leviers.
Il faut être très clairs : si nous avons le pouvoir de bloquer l’éco-délinquance, nous n’avons aucun pouvoir pour attaquer en justice les entreprises. Nous pouvons à peine leur retirer le label RGE. C’est alors à l’État de prendre la relève, et de faire son travail de répression.
"Il faut être très clairs : si nous avons le pouvoir de bloquer l’éco-délinquance, nous n’avons aucun pouvoir pour attaquer en justice les entreprises."
Mais ce n’est absolument pas le cas aujourd’hui. Les entreprises n’ont plus l’agrément, mais cela n’enlève rien au fait qu’elles ont trompé leurs clients et ont fraudé en matière d'attribution de subvention. Pourtant, les entreprises condamnées se comptent sur les doigts d’une main. Le message envoyé est clair : je peux frauder l'État sans risque véritable. L’État est finalement le propre responsable de l’arrêt de MaPrimeRénov', puisque c’est lui qui est censé réprimer l’éco-délinquance. Ce qu’il ne fait pas.
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