Logement : la rénovation au défi de juguler la multiplication des bouilloires thermiques

Par   Corentin PATRIGEON

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Publié le 28 novembre 2025
© Corentin Patrigeon pour XPair
De gauche à droite : Gilles Berhault, fondateur de Stop et Territoires Zéro Exclusion ; Jean-Pascal Chirat, délégué général du Club de l'amélioration de l'habitat ; Cédric de Jonckere, président-directeur délégué de GTM Bâtiment ; Olivier Servant, directeur des solutions pour la construction Saint-Gobain Solutions France chez Saint-Gobain ; Jean-Jacques Raidelet, directeur des marchés chez GRDF ; Laurent Lorrillard, directeur général d'Antin Résidences ; et Nicolas Naville, directeur rénovation et fiabilisation de l'acte de construire au CSTB.
DÉCRYPTAGE. Réalité de plus en plus tangible chaque année, l'inconfort d'été impose au secteur du bâtiment de repenser sa stratégie de rénovation du parc résidentiel. Mais pour transformer l'essai, les acteurs attendent une adaptation de la réglementation et une nouvelle grille de lecture.

Pas évident de rénover un parc bâtimentaire soumis à de nombreux défis, surtout quand le premier d'entre eux concerne un angle relativement mort de la réglementation actuelle : l'adaptation au réchauffement climatique. Lors des Assises de la rénovation énergétique et de l'adaptation de l'habitat aux aléas climatiques, organisées ce 27 novembre à Paris par l'agence Aromates et les Entreprises sociales pour l'habitat (ESH), les acteurs du secteur se sont succédé sur la scène pour proposer des solutions à cette fin.

Pour le président d'Aromates, Jacques Marceau, ces derniers se retrouvent "dans une situation inédite face à une double injonction de mise aux normes du parc existant et de mise en chantier de logements neufs, dans un contexte d'accès au crédit contraint par le durcissement des règles de financement imposées aux banques, de renchérissement du prix des matières premières et du foncier".

Il n'empêche, la rénovation énergétique est devenue selon lui "incontournable", essentiellement pour les ménages les plus modestes "qui sont les premiers touchés par la précarité énergétique mais aussi par les évènements climatiques extrêmes, d'où l'enjeu de conjuguer à cet endroit justice sociale et transition écologique". Une table ronde a notamment été organisée sur le thème des passoires thermiques, qui se transforment de plus en plus en bouilloires thermiques dès que les premiers rayons du soleil d'été font grimper le mercure.

Du rôle des usagers

Certes, la RE2020 intègre une notion de confort d’été. Mais les usagers ont aussi leur part à prendre. "Dans le parc social, les locataires ont un rôle plus important à jouer face aux fortes chaleurs que face au froid", note Serge Bossini, directeur général de l'Ancols (Agence nationale de contrôle du logement social). "Les solutions de rafraîchissement naturelles (occultants…) sont à privilégier, comme c’est le cas sur le pourtour méditerranéen, et les climatiseurs individuels sont à éviter."

À la suite de son étude sur l'adaptation des logements aux fortes chaleurs, l'agence invite à plancher sur une vraie méthodologie de mesure du confort d’été, encore mal prise en compte par la majorité des bailleurs sociaux, et à partager les connaissances des vulnérabilités du parc et de ses locataires. L’organisation interne des offices HLM doit aussi être revue, en sensibilisant leurs équipes et en les faisant gagner en compétences sur ces problématiques.

Un travail sur la réglementation, notamment en matière d’urbanisme, et sur le financement de la rénovation énergétique semblent également s'imposer, dans la mesure où "les opérations d’aujourd’hui sont surtout orientées DPE (diagnostic de performance énergétique)". Le délégué général du Club de l'amélioration de l'habitat, Jean-Pascal Chirat, rappelle que les membres de son organisation réfléchissent à adopter "une vision plus globale que la parcelle, une vision à l’échelle du quartier, pour embarquer plus largement les visions sociales et environnementales du sujet".

Penser à l'échelle du quartier

Ainsi, ce serait à l’ensemble de la communauté de se pencher sur les problématiques et de trouver des solutions, "en prenant en compte la sensibilité bâtimentaire et en intégrant les indicateurs à l’échelle du bâtiment, de la parcelle et du quartier". Sachant que "les risques ne sont pas identiques dans toutes les régions" et que la technologie, si elle peut résoudre un certain nombre de problèmes liés à la surchauffe des bâtiments, ne suffira pas : l’environnement, la biodiversité, l’organisation des structures devront faire partie de l'équation, plaide-t-il.

"Il faut sensibiliser tous les publics et faire monter en compétences tous les acteurs. Et il y a aussi une réflexion plus large à mener sur l’usage des bâtiments : certains pourront être adaptés, d’autres peut-être pas, ce qui amènera à les réaffecter à d’autres usages."

- Jean-Pascal Chirat, délégué général du Club de l'amélioration de l'habitat

Certains, comme Laurent Lorrillard, le directeur général d'Antin Résidences, filiale du Groupe Arcade-Vyv, mettent cependant en garde sur la généralisation des solutions passives. "On s’est aperçu qu’il fallait quasiment former les occupants de logements passifs, tellement ces logements sont pointus et performants, ce qui nous questionne sur leur adaptation à la majorité de la population."

Sobriété et hybridation

Il demande au passage aux pouvoirs publics de projeter la réglementation sur les prochaines décennies : "Les normes sont, dans le meilleur des cas, pensées pour la situation d'aujourd’hui, sinon d'hier, alors qu’on bâtit et qu’on finance pour les 50 ans qui viennent". Des normes anticipant les évolutions futures, particulièrement dans les régions les plus chaudes, représenteraient ainsi un sacré coup de main pour les promoteurs, constructeurs, exploitants... et thermiciens.

"L’hybridation, autrement dit le fait de pouvoir compter sur plusieurs énergies, nous donne davantage de capacités à réagir aux conditions climatiques extrêmes, à la disponibilité et aux fluctuations de prix des énergies. Il faut non seulement se diriger vers les comportements les plus sobres qui soient mais aussi pouvoir compter sur les systèmes les plus efficaces qui soient", lance Jean-Jacques Raidelet, directeur des marchés chez GRDF.

Pour le spécialiste, il n'existe aucune solution idéale permettant de tout développer à coût réduit. En revanche, "les pompes à chaleur hybrides se développent et c’est positif pour la pérennité des systèmes, qui se basent sur des unités avec une plus faible puissance". Toutes ces pistes de réflexion – ou revendications – ont assurément de quoi nourrir les travaux du Centre scientifique et technique du bâtiment, le CSTB.

Impulser une stratégie CVC européenne

Son directeur rénovation et fiabilisation de l'acte de construire, Nicolas Naville, admet que ses équipes ont déjà à gérer "un gros chantier dans le Pnacc (Plan national d'adaptation au changement climatique) qui est l’évolution des référentiels pour les matériaux dans un contexte de changement climatique". Pour l'aider dans sa tâche, le centre dispose, entre autres, d’un laboratoire "semi-virtuel" d'évaluation des systèmes de chaleur et de froid. Mais les domaines d'action sont pléthoriques, de la réglementation aux vecteurs énergétiques en passant par l'isolation.

"La RE2020 fait déjà un grand pas en avant en intégrant les enseignements de la canicule de 2003, qui était déjà exceptionnelle. Quant aux matériaux biosourcés, ils ont leur place dans le paysage de demain car ils apportent beaucoup sur le plan économique, mais sur le plan performantiel, cela se discute." Le représentant du CSTB déplore toutefois que ce défi de l'adaptation climatique du bâti ancien n’ait pas été quantifié à l’échelle nationale. L'industrie du CVC a commencé à mettre à jour son logiciel, mais sa relative inertie ne facilite pas la tâche.

"Les innovations sur les systèmes, notamment sur les fluides des Pac, sont impressionnantes, et il y a des progrès sur le rafraîchissement adiabatique. Mais il y a encore beaucoup d’innovations devant nous en matière de décarbonation de la chaleur et du froid et il faut mettre en place une stratégie industrielle française et européenne sur ce point", relève Nicolas Naville.

La dépendance du secteur du bâtiment aux subventions a d'ailleurs été une nouvelle fois pointée du doigt, partant du constat qu'il semble plus facile aujourd'hui de construire du neuf que de rénover de l’existant. Le cadre réglementaire, juridique et fiscal pourrait ainsi être repensé en s’inspirant de pays plus en pointe dans ce domaine.


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