L'IA dans le bâtiment : faut-il "suivre sans être convaincu" ?

D’emblée, nous serions tentés de répondre "non" ! Et il est difficile de résister d’en parler. La preuve ici. Oubliées les turpitudes politiques qui ne durent qu’un temps, oubliées les guerres asymétriques et les guerres larvées, oubliés pour un temps les phénomènes climatiques extrêmes et les épisodes caniculaires, oubliés les massacres contre la biodiversité sur les terres et dans les océans, et, concernant nos métiers, oublié le marasme du marché de la construction et de la rénovation.
Reste l’IA, bien installée dorénavant pour la nuit des temps dans nos cerveaux et notre quotidien.
État d’esprit des développeurs de l’IA
Une interview de Karen Hao [2], journaliste américaine spécialiste de l’IA [3], résume bien le contexte général dans lequel se développent l’intelligence artificielle. Sam Altman, patron d’Open AI (ChatGPT), vise une IA générale qui viendra "augmenter" l’Humanité en élargissant l’automatisation du travail humain, physique, intellectuel, voire imaginatif et affectif. À ce propos, des "compagnons" numériques sont développés pour nouer des relations émotionnelles avec les humains, en particulier et sans précaution, avec les enfants [4].
Mais selon lui, il faut tout faire pour vaincre les "mauvais" empires (Chine...) et promouvoir les "bons" (Open AI et consorts américains) afin qu’ils puissent civiliser le monde ! En clair, quand tous les habitants de la planète seront devenus de passifs consommateurs de services utiles – le pain – et surtout futiles – le cirque –, nous serons enfin "civilisés".
État d’"esprit" de l’IA
Il ne faut pas prendre trop de distance avec l’objet de la conversation, en rester aux synonymes, aux rapprochements sémantiques, éviter toute ambiguïté ou double sens. Selon la formulation d’une question ou d’une réponse, il est aisé de "piéger" l’IA et de lui faire dire n’importe quoi, d’aboutir à des réactions hors sujets, voire qu’elle utilise des informations fantaisistes pour répondre coûte que coûte.
À ce stade, les développeurs ont réussi à inculquer des possibilités de faire mentir, de créer des lapsus. Vouloir intégrer un inconscient à l’ordinateur reste pour l’instant dans le domaine du jeu. L’IA aura des réactions plus "humaines" mais pas assez folles ou subjectives pour s’humaniser.
"À (court ?) terme, on pourra la retrouver dans des interfaces "intelligentes" avec les usagers (automatismes, contrôles-commandes pour la gestion de l’énergie et du confort, pour la qualité de l’air intérieur...). L’IA semble pouvoir générer un bilan positif sur l’énergie et la qualité des ambiances intérieures mais cela reste encore à démontrer."
L’IA profile dans les détails l’interlocuteur demandeur de relations, répond à toutes attentes explicites avec une infinie patience et une compassion mesurée. La machine semble vous connaître mieux que vous et apporte les réponses les plus attendues émotionnellement [6]. Ces "perfections" font à la manière de, avec tous les dangers de tromperies, notamment sur les réseaux sociaux [7].
Remettre sa vie à l’IA peut venir en aide à des personnes isolées, en mal-être. Mais des dérives profondes sont à craindre car ces "compagnons à domicile" n’ont rien en commun dans leurs effets avec des aides ménagères tels qu’un robot-mixer, un air-fryer ou une enceinte acoustique connectée ! Ils agissent sur le psychisme sans garde-fous.
Quels impacts énergétiques et climatiques ?
Selon Sasha Luccioni, experte canadienne, les impacts devraient être deux fois supérieurs à ces chiffres en intégrant toute la chaîne de réalisation. On pouvait cependant s’attendre à des bilans bien plus catastrophiques, surtout au regard des potentiels de l’IA dans tous les domaines.
En outre, certains envisagent d’exploiter la chaleur générée par les data centers en la transformant en électricité [9]. Mais dans le secteur du bâtiment, l’IA est encore relativement peu développée. On la retrouve dans quelques outils de conception et de gestion mais à un stade balbutiant.
À (court ?) terme, on pourra la retrouver dans des interfaces "intelligentes" avec les usagers (automatismes, contrôles-commandes pour la gestion de l’énergie et du confort, pour la qualité de l’air intérieur...). Dans nos domaines, l’IA semble pouvoir générer un bilan positif sur l’énergie et la qualité des ambiances intérieures mais cela reste encore à démontrer. D’un point de vue environnemental, il faudra être en mesure de réaliser des analyses de cycle de vie sérieuses pour juger de sa pertinence, mais les sources sont encore bien maigres.
Et l'état d’esprit du monde du travail ?
Toutes les justifications s’appuyant sur la rentabilité, la performance, la survie de l’entreprise sont générées dans un contexte économique et surtout financier qui s’éloignent de l’état d’esprit entrepreneurial. L’entreprise, lieu sociétal par excellence, est devenue un sujet négligeable face aux considérations purement vénales. Seuls comptent les bénéfices et les dividendes qu’elle peut générer.
"Tous les métiers et toute la hiérarchie sont touchés à divers degrés, en particulier dans le recrutement, le juridique, l’enseignement, la recherche... Le bâtiment est, pour l’instant, relativement en-dehors."
Aider un individu à être plus productif grâce à l’IA est presque une idée dépassée. La tendance est la mise au point de « systèmes agentiques », capables de réaliser des tâches de plus en plus complexes de manière autonome avec peu ou pas de surveillance humaine [10]. Ces nouveaux « collègues » remplacent déjà le vendeur, le contrôleur de gestion, voire le directeur financier.
Tous les métiers et toute la hiérarchie sont touchés à divers degrés, en particulier dans le recrutement, la traduction, le juridique, la médecine, l’enseignement, la recherche... Le bâtiment est, pour l’instant, relativement en-dehors. L’IA générative devient la tarte à la crème des décideurs et des employeurs. Elle a tendance à simplifier, standardiser, parcelliser des métiers nécessitant des professionnels très qualifiés qui sont progressivement privés des gestes créateurs et réduits au rôle d’appendice [11].
En somme, l’IA déqualifie, précarise (exemple : un traducteur ne traduit plus, il ne fait que de la post-édition, travail plus pénible et moins payé), contribue à renforcer le contrôle des travailleurs, permet des licenciements. Cette dégradation s’accompagne d’une augmentation de la productivité, critère central de décision des dirigeants et actionnaires.
(1) "Le dessous des cartes", émission de Arte, le 22 septembre 2025
(2) "Open AI utilise plus de ressources qu’il n’a été nécessaire pour aller sur la lune", Libération, 23 juin 2025, Nastasia Hadjadji
(3) "Empire of AI : Dreams and Nightmares in Sam Altman’Open AI", Éditions Penguin Randon, 2025 (non traduit)
(4) "Un chatbot déguisé en doudou", Le Monde, 26 septembre 2025, Corine Lesles
(5) "L’IA peut nous faire croire qu’elle arrive à faire des métaphores, mais ce n’est pas vrai", Libération, 21 et 22 juin 2025, interview mené par Cécile Daumas
(6) "L’usage intime des assistants d’IA pose des problèmes éthiques", Le Monde, 24 septembre 2025, Alexandre Piquard
(7) "Les IA personnalisées débarquent et déraillent sur les réseaux sociaux", Le Monde, 3 et 4 août 2025, Florian Reynaud, Morgane Tual
(8) "Mesurer la gloutonnerie numérique", Le Monde Diplomatique, juillet 2025, Sébastien Broca
(9) "Transformer la chaleur des data centers en électricité", Le Monde des Sciences, 17 septembre 2025, Laure Belot
(10) "Des agents IA, vos futurs collègues", Le Monde, 19 juin 2025, Marjorie Cessac
(11) "L’IA et l’organisation du travail", Le Monde, 18 septembre 2025, François Desnoyers, compte-rendu de l’ouvrage "Un taylorisme augmenté ; critique de l’IA", Juan Sebastian Carbonnel, Éditions Amsterdam, 2025
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