Construction : "La simplification est nécessaire mais elle ne doit pas fragiliser la santé des usagers"

Par   Dominique Bidou

Lettres d'experts
Publié le 17 avril 2025
Crédit photo iStock/Media Raw Stock
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LE REGARD DE DOMINIQUE BIDOU. Pour sa chronique d'avril, le président d'honneur de l'Alliance HQE-GBC fait l'éloge des normes et alerte sur une simplification administrative qui serait vite abusive. À ses yeux, la norme est un "langage commun", gage de qualité dont l'application doit néanmoins être régulièrement interrogée.

Les normes doivent avoir le spleen. Que n’entendons-nous pas sur elles et leurs méfaits ! Des freins, des lourdeurs, des obligations stupides, surtout quand ça vient de bureaucraties bien éloignées des réalités, à Paris ou à Bruxelles. Haro sur les normes, empêcheuses de produire comme bon nous semble, nous qui sommes sur le terrain, qui nous levons tôt, et qui ne comptons pas le temps qui passe.

Pauvre norme, chargée de tous les péchés du monde. La norme qui semble être une obligation, et c’est le cas, en effet, des normes sociales, hors desquelles point de salut. Mais les normes attaquées ne sont pas celles-ci, ce sont les normes techniques, qui décrivent un produit ou un service, de manière à sortir d’une sorte de tour de Babel, où personne ne se comprend.

Si chacun a sa définition personnelle d’un produit, il est difficile de passer commande, l’acquéreur ne pouvant pas savoir précisément ce que le vendeur lui propose. Sans langage commun, point d’échange, point de comparaison possible, et c'est la porte ouverte à toutes les malversations, aux conflits, aux escroqueries. Les efforts de qualité des uns ne pourraient pas être reconnus ni rémunérés si la description de ladite qualité n’était pas rigoureuse.

Des exigences mais aussi des garanties

La norme permet ensuite de réglementer sur des bases précises, avec des exigences, des limites à ne pas franchir, des spécificités qui font l’intérêt de l’objet réglementé. Elle n’est pas en soi une obligation, mais permet d’établir des règles à appliquer, qui, elles, s’imposent. Et nous sommes bien contents des garanties que nous apportent, à nous consommateurs, les normes NF ou CE.

Sans parler de l’homogénéisation de certains produits, comme les prises de courant et plus récemment les prises d’alimentation des smartphones. Finie, l’obligation d’acheter à chaque fois un nouveau cordon avec sa prise, merci la norme qui nous fait faire une économie et qui, en même temps, économise la ressource nécessaire à leur fabrication.

"Les exigences sur les constructions neuves sont liées à leur durée de vie. Elles ont pour objet de disposer pendant des dizaines d’années de bâtiments bons, aussi bien pour la santé et la qualité de vie des occupants, que pour le climat ou les ressources en eau."

La norme n’est pas innocente pour autant. Aucun langage n’est vraiment neutre, il traduit une culture ou des pratiques dominantes. Cela peut entraîner une discrimination entre les acteurs, ou les obliger dans les faits à adopter des modalités différentes de celles qu’ils auraient retenues spontanément.

La norme n’est pas figée, elle peut évoluer en fonction des techniques disponibles, d’innovations, ou de contraintes de type sanitaire par exemple. Mais la vie va plus vite que la norme, et le risque existe que la norme ne suive pas assez vite, et qu’elle devienne alors un frein à l’innovation. Pourquoi faire preuve d’inventivité si je suis contraint de rester dans la norme ?

Impératifs d’intérêts généraux

Il faut donc être exigeant sur les normes, puisqu’elles fixent les règles du jeu. Elles doivent coller à la réalité, et être capables de suivre les progrès, et même de les encourager. Elles doivent être ouvertes à l’innovation, pour intégrer en continu de nouvelles pratiques, lorsqu’elles donnent des résultats équivalents ou supérieurs à ceux fixés au départ.

Les normes ne sont pas nées du hasard. Elles expriment des impératifs qui existent en soi, indépendamment des règlements, comme la qualité de l’air que nous respirons, ou la nécessité de répondre aux besoins de tous, y compris les personnes fragiles. Les respecter, c’est respecter ces impératifs, qui relèvent souvent d’intérêts généraux, qui s’imposent de toute façon aux producteurs.

Les normes représentent dans ce cas-là des qualités sanitaires, sociales, environnementales, pour protéger les travailleurs, les consommateurs ou l’environnement. Et ce sont celles-ci qui sont l’objet du courroux que chacun peut observer à la télévision, notamment quand les enjeux sont décalés dans le temps.

Tirer le bilan de la mise en œuvre des normes

Les exigences sur les constructions neuves sont liées à leur durée de vie. Elles ont pour objet de disposer pendant des dizaines d’années de bâtiments bons, aussi bien pour la santé et la qualité de vie des occupants, que pour le climat ou les ressources en eau. Que dirait-on d’un immeuble obsolète quelques années après sa livraison ?

L’interdiction de certains produits, dans de nombreux domaines, comme la construction, mais aussi l’alimentation et les équipements, n’est pas qu’un acte administratif. C’est un acte de protection de ceux qui seraient tentés de les utiliser, et des impacts qui en résulteraient. Les alléger, c’est alléger d’autant ces protections, souhaitées par ailleurs par les consommateurs.

Il y a sans doute des normes excessives, qui étouffent au lieu de protéger, et il est bon de tirer régulièrement le bilan de leur mise en œuvre, notamment des modalités pratiques de cette mise en œuvre. Le mouvement engagé de simplification est à ce titre nécessaire, mais qu’il ne soit pas un prétexte à fragiliser un système de santé durement mis à l’épreuve par ailleurs. N’oublions pas que les trois quarts des maladies ont à l’origine des facteurs environnementaux.


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