La RE2020, un bug réglementaire ?

Par   Bernard SESOLIS

Lettres d'experts
Publié le 19 décembre 2025
© iStock/dickcraft
La RE2020 porte bien mal son nom, juge Bernard Sesolis.
L'HUMEUR DE BERNARD SESOLIS. La RE2020 porte bien mal son nom, juge le fondateur du BE Tribu Énergie. Mais plutôt que de chercher des responsables, ne vaut-il mieux pas retrouver une bonne trajectoire climatique ? Deux acteurs – fictifs – du bâtiment s'interrogent.

La RE2020 porte bien mal son nom. Elle n’a pas grand-chose d’environnemental comme l’affiche pourtant le "E". Les premiers textes, décret et arrêté sont sortis en 2021. Le début de son application date de 2022. En 2025, de nombreux pans de la construction ne sont toujours pas concernés.

Depuis l’avènement de la première réglementation thermique des constructions en 1974, c’est la première fois qu’une réglementation, la RT2012, est appliquée depuis 13 ans dans de nombreux segments non résidentiels. Le record de longévité détenu par la RT1988 qui aura tenu jusqu'en 2000 est battu !

Cela est d’autant plus étonnant que la décennie 2020-2030 doit être celle des baisses drastiques des émissions de gaz à effet de serre (GES). Nous devons retrouver la bonne trajectoire pour 2050 grâce à la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC 2030), dont l’objectif est une réduction de l’ordre de 30 à 40 % par rapport à la fin des années 2010, voire, avec la troisième version de la SNBC, une réduction de 50 %.

"Où est le bug ?", se demandent nos acolytes Bio et Thanato, qui s’étaient déjà exprimés l’année dernière sur le même sujet. Écoutons discrètement...

Bio : Petit rappel mon cher Thanato : c’est en France que les constructions se sont vues imposer pour la première fois des limites sur les consommations énergétiques et sur les émissions de GES. La mise au point d’une telle réglementation fut et reste délicate. Son retard à l’allumage n’est pas une surprise. L’art est difficile…

Thanato : Justement, il n’aurait pas fallu se précipiter !

Bio : Facile à dire a posteriori. Que n’aurait-on pas entendu sur les lenteurs de l’État en matière environnementale si cette RE était sortie plus tard ! Le calendrier politique et le calendrier technique se sont mal superposés et cela n’est la faute de personne, ou bien de tout le monde.

Thanato : La question n’est pas de trouver des responsables, mais de retrouver une bonne trajectoire. L’expérience E+C- (Énergie+ Carbone-) lancée en 2017 devait représenter le champ expérimental pour la future RE2020. Les premières opérations sont sorties en 2018. Après deux ans, l’Observatoire E+C- mis en place dès le début de la procédure (fait qui méritait d’être rappelé) faisait état d’environ 7.000 logements traités. Tous n’ont pas pu être labellisés faute d’une performance trop faible en énergie ou en carbone.

Bio : 7.000, ce n’est pas ridicule.

Thanato : Bof ! Cela représente environ 1 % de la construction durant cette période. Donc, une application très marginale de E+C- assurée par au plus 1 % des acteurs de la construction. Les niveaux réglementaires pour l’habitat et, par la suite, pour les bureaux et l’enseignement, ont été calés à partir d’un faible échantillon d’opérations. Le Covid aura tétanisé le secteur de la construction. Finalement, le premier décret est sorti le 21 juillet 2021 et la RE2020 n’aura été appliquée qu’à l’habitat et seulement à partir de 2022.

Bio : Mais nous n’aurons attendu que six mois pour que l’enseignement primaire et secondaire et les bureaux soient soumis à leur tour à la RE2020.

"Ce n’est pas la première fois que le calendrier dérape un peu. La RT2012 est entrée en vigueur pour l’habitat dès octobre 2010. Le reste aura suivi, mais seulement fin 2012.

Ce décalage s’explique par la priorité donnée à l’habitat, secteur moins complexe à caler que celui des ERP ou des bâtiments d’activité, et aussi secteur le plus impactant au regard du nombre de m² construits."

Thanato : Mais là, ce n’est plus un dérapage, c’est une sortie de virage ! À part l’habitat, les bureaux et l’enseignement primaire et secondaire, pour le reste des bâtiments habituellement soumis aux RT [1], il avait été annoncé une mise en application au 1er janvier 2023, puis 2024, puis 2025… puis 2026. Il paraît qu’il faudra encore attendre jusqu’au 1er mai 2026.

Bio : Tout va finir par rentrer dans l’ordre. En revanche, un sujet m’inquiète : il est demandé aux acteurs de la construction de fournir des informations sur des projets couvrant beaucoup d’autres secteurs avec pour objectif d’étendre à terme le champ d’application de la RE2020 à certains d’entre eux.

Thanato : Vous inquiète ? Cela doit être très grave alors. D’un point de vue de la lutte contre le changement climatique, c’est plutôt de bon augure, non ? Qu’est-ce qui vous chagrine ?

Bio : Vous allez comprendre. Voici une liste non exhaustive des secteurs évoqués :

  • Tribunaux et palais de justice
  • Salles polyvalentes, salles des fêtes, salles de conférences, salles de spectacles (théâtre, cinéma, opéra, auditorium)
  • Piscines, saunas, hammams (hors vestiaires)
  • Musées, salles d'exposition, salles d'archives, scellés de justice
  • Patinoires
  • Établissements pénitentiaires
  • Salles serveurs et centres d'exploitation informatique (data centers)
  • Parties de bâtiments chauffées ou refroidies pour les besoins d'un procédé industriel
  • Parcs d'attraction et équipements assimilés
  • Blanchisseries industrielles
  • Laboratoires (hors médical)

Thanato : Impressionnant !

"D’autant que jusqu’à présent, ces secteurs n’ont jamais été couverts par les RT antérieures et la RE2020. Et pour cause ! La plupart de ces bâtiments sont en fait des clos-couverts de processus industriels.

Les consommations d’énergie sont principalement dévolues à ces derniers. Le bâti représente une part secondaire, voire négligeable des consommations totales.

En outre, les m² construits de tous ces secteurs confondus représentent une toute petite part du marché de la construction."

Bio : Vous avez compris. Ajoutez à cela nos habitudes juridiques qui consistent à ne pas intriquer le Code de la construction et le Code de l’industrie, à ne pas confondre le Corps des ingénieurs des Mines et le Corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées, à ne pas mélanger les torchons et les serviettes (je vous laisse deviner qui est qui…).

C’est l'une des raisons qui pousse traditionnellement le ministère chargé de la Construction (dénommé actuellement "ministère de la Transition écologique, de la biodiversité et des négociations internationales sur le climat et la nature") à élaborer des réglementations énergétiques pour les constructions et les bâtiments existants qui ne se mêlent pas à des processus industriels.

Exit l’électroménager dans l’habitat, la bureautique dans les bureaux, le froid alimentaire dans les commerces, etc !

Thanato : Du coup, nous pourrions être amenés à terme à appliquer la RE2020 sur des bâtiments dans lesquels seulement une toute petite partie de leurs consommations énergétiques et de leurs émissions de GES probables serait prise en compte !

Imaginons un maître d’œuvre qui se coltinerait un calcul RE2020, c’est-à-dire vérifiant les six exigences, quatre critères énergétiques, un bilan ACV et un calcul des DH en considérant qu’aucun refroidissement n’est en marche (!), et tout cela par exemple, pour une blanchisserie industrielle ou un parc d’attractions… Une situation donnant l’impression d’avoir à écraser une mouche avec un char d’assaut.

Bio : Nous sommes bien d’accord pour une fois. Plutôt que de vouloir étendre le champ d’application de la RE2020, peut-être à cause d’une directive européenne (?), la priorité est de faire enfin appliquer la réglementation à tous les secteurs habituellement concernés.

La RE 2020 est un outil perfectible certes, mais très efficace pour décarboner l’offre industrielle et décarboner nos esprits.

Thanato : Oui, mais à condition de bien tenir compte des bugs et difficultés d’application constatées dans certaines configurations. Un calage parfait des exigences, cela n’existe que dans le monde des Bisounours. Il n’y a rien d’honteux à revoir sa copie sur des sujets aussi complexes.

Bio : Le ministère pourrait aussi envisager une évolution de la RE2020 intégrant les "autres usages", au moins dans les logements et dans certains ERP, comme cela a été expérimenté dans le cadre du référentiel E+C-. Ce serait une façon de donner la possibilité de valoriser des projets dans lesquels des éléments architecturaux et des systèmes minimisent les consommations de l’électroménager [2] ou de la bureautique.

Thanato : Effectivement, quel dommage que l’administration n’ait pas osé le faire. Valoriser des circuits électriques sans consommations résiduelles, valoriser la mutualisation de certains équipements ménagers, valoriser des espaces dédiés au séchage du linge... et tant qu’à faire, demander de réaliser un bilan d’écomobilité comme dans le cadre du label Bepos-Effinergie avec l’outil dédié : 5 à 10 minutes de calcul suffisent, juste pour afficher de manière indicative et sans exigence de résultat, ce bilan ô combien crucial.

Bio : Je constate aujourd’hui que nos avis convergent. À votre santé ! •

Peut-être retrouverons-nous prochainement nos deux acolytes toujours prompts à la discussion sur les aspects réglementaires. Espérons que durant l’année qui vient, les décideurs publics seront dotés de moyens suffisants et qu’ils auront la volonté politique de faire débuguer et évoluer la RE2020 de manière à ce que les objectifs visés soient réellement atteints dans cinq ans.

********************

[1] La DHUP (Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages) a dressé la liste des bâtiments qui seront soumis à la RE2020 à partir de 2026 :

  • les médiathèques et bibliothèques
  • les bâtiments d’enseignement atypiques
  • les bâtiments universitaires d’enseignement et de recherche
  • les hôtels
  • les établissements d’accueil de la petite enfance
  • les restaurants
  • les commerces
  • les vestiaires
  • les établissements sanitaires avec hébergements
  • les établissements de santé
  • les aérogares
  • les bâtiments à usage industriel et artisanal
  • les établissements sportifs

[2] Pour rappel, selon l’Ademe (Agence de la transition écologique), l’électroménager en logement représente en moyenne une consommation égale à 70 kWh ep/m².an. À comparer avec environ 40 kWh ep/m².an en moyenne pour tous les postes pris en compte dans la RE2020 pour les logements neufs.


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