Énergie-climat : ce qu'il faut savoir sur la proposition de loi Gremillet débattue à l'Assemblée

Par   Émilie WOOD

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Publié le 23 juin 2025
Crédit photo Équilibre des énergies
L'ancien ministre Brice Lalonde (à gauche) et le sénateur Daniel Gremillet lors d’un atelier-débat organisé par l’association Équilibre des énergies le 18 juin.
POLITIQUE. Les débats font rage autour de la proposition de loi de programmation énergie-climat (LPEC) dite Gremillet, qui doit fixer les grandes orientations énergétiques du pays pour les dix prochaines années. Le texte fait face à un avenir incertain.

La proposition de loi Gremillet, débattue depuis le 16 juin 2025 à l’Assemblée nationale, sera-t-elle adoptée ? Et si oui, avec quelles conséquences pour les filières d'énergies renouvelables ?

"Aujourd’hui, les États-Unis ont une politique très offensive en matière énergétique, et l’Europe et la France sont en situation de fragilité par rapport à l’Asie, offensive non seulement en matière industrielle, mais aussi énergétique. Les décisions qu’on va prendre vont tracer le chemin de la France pour les 50 prochaines années", a souligné le sénateur Daniel Gremillet, auteur de la proposition de loi de programmation énergie-climat (LPEC), invité le 18 juin par l’association Équilibre des Énergies.

Le parlementaire a également rappelé les deux ans de retard de la France dans la matière ; le précédent projet de loi, porté par la ministre d'alors, Agnès Pannier-Runacher, n’ayant pu être adopté comme prévu en 2023 en raison du remaniement ministériel.

Le texte original amputé de ses objectifs nucléaires

La proposition de loi prévoit que 58% de la production totale d'énergie du pays proviennent de sources d’énergies décarbonées en 2030, hydrogène, nucléaire et ENR confondues. Initialement, la proposition de loi du sénateur vosgien prévoyait de "tendre vers 27 gigawatts" d’énergie d’origine nucléaire, via la construction de 14 nouveaux EPR2 et de 15 SMR d’ici à 2050 dans son article 3.

Soit un objectif supérieur à celui annoncé par Emmanuel Macron en février 2022. Mais cet article, puis son amendement, ont finalement été rejetés par la majorité des députés. Dans le contexte d’une Assemblée nationale fortement fragmentée, et au vu des nombreux débats et amendements déjà en cours depuis le 16 juin, nul ne peut jurer de ce qui restera du texte final au moment du vote, prévu demain, le 24 juin.

"Ne laisser personne sur le bord de la route"

- Daniel Gremillet, sénateur à l'origine d'une proposition de LPEC

"On a besoin d’une vision, on a besoin d’un cap. C’est ce qui va permettre à des entreprises de prendre des risques, d’investir, d’adhérer à ces métiers. C’est pourquoi mon texte balaye toutes les énergies, y compris les biocarburants. Pourquoi ? Parce que je sais qu’en 2035, certains Français n’auront pas les moyens d’avoir un véhicule électrique", s’est encore indigné Daniel Gremillet.

Poursuivant : "Et notre responsabilité en tant qu’élu, c’est de ne laisser personne au bord de la route. D’ailleurs, j’ai été très choqué, lundi en commission, que les parlementaires suppriment l’article sur la protection des consommateurs, parce qu’il y a de la précarité énergétique en France."

Le sénateur a également évoqué l’importance de soigner l’architecture du réseau électrique et de ses interconnexions avec le reste de l’Europe, à la lumière du récent "blackout" en Espagne et au Portugal. L'évènement aurait pu s’étendre au reste de l’Europe si les systèmes français avaient également failli, a-t-il indiqué.

Le nucléaire au détriment des ENR ?

"Même si les objectifs nucléaires ont disparu du projet de loi tel qu’il est aujourd’hui soumis à la séance publique, on voit bien qu’il y a une surenchère sur les projets nucléaires, pas seulement les réacteurs", a objecté Hélène Gassin, présidente de l’association négaWatt, lors d’un webinaire presse organisé le 12 juin sur le thème "Planifier la vulnérabilité ou construire la résilience ?".

"Dans un contexte avec des prix négatifs, on commence à avoir un discours de concurrence entre nucléaire et ENR, un discours où on ne consommerait pas assez d’électricité aujourd’hui, qui nous préoccupe", a-t-elle poursuivi.

Évolution de la consommation d'électricité en France constatée entre 1990 et 2024, et projetée à 2030-2035. © RTE/négaWatt

L’association, qui plaide pour une politique énergétique fondée sur la sobriété et l’efficacité, estime que la consommation électrique est actuellement bien inférieure aux projections du BP2023 sur lesquelles se base la trajectoire de la PPE3 (voir graphique). Au risque d’une augmentation générale des coûts du système, de l’impossibilité du maintien de tarifs attractifs… et au final, d’un conflit de priorités entre le nucléaire et les renouvelables.

NégaWatt souhaite au contraire prioriser la sobriété sur les usages ainsi que l’efficacité, et développer une industrialisation dimensionnée aux besoins réels de la population. Yves Marignac, porte-parole de l’association, a expliqué : "Cette projection est volontariste, RTE a intégré dans sa modélisation les objectifs de neutralité carbone du pays et a même intégré les objectifs 'Fit for 55'. Cette construction conduit à miser énormément sur l’électrification."

Or, "on a progressivement concentré toute l’attention sur l’accélération de l’électrification des usages et la réindustrialisation en perdant de vue l’enjeu de renforcement de l’efficacité et de la sobriété électrique. Ces investissements sont incompatibles avec le maintien de tarifs attractifs, indispensables pour que les ménages et les entreprises aillent vers cette électrification."

La question du coût de la production d'énergie

Autre point important soulevé par négaWatt : le coût de la production d’énergie. En effet, le coût de production du MWh avait été estimé à 40 € par RTE pour la prolongation du nucléaire existant, alors que la Cour des comptes a tablé sur 60 € du MWh en 2023. EDF a même estimé ce coût à 75 €, selon Marc Jedliczka, porte-parole de l'association.

"Aujourd’hui, le coût de production dépasse largement celui de l’éolien et du photovoltaïque au sol ou en grande toiture. Donc le calcul économique de l’intérêt du nucléaire doit être remis en cause. Et c’est pareil pour le nouveau nucléaire, estimé très récemment par l’État à 100 € du MWh", a-t-il ajouté.

Reste donc à savoir si la proposition de loi Gremillet sera validée, et sous quelle forme, avant la publication à la fin de l’été du décret sur la troisième version de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE).


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