Énergie, carbone : "Il y a un manque de reconnaissance de l’excellence française", F. Hovorka (AICVF)

Qui a dit que la France était en retard en matière de réglementation bâtimentaire ? Certainement pas les adhérents de l'AICVF (Association des ingénieurs et techniciens en climatique, ventilation et froid), réunis en congrès à La Rochelle ce 13 juin 2025. Dans le cadre d'une table ronde consacrée à la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments (DPEB), les congressistes se sont intéressés aux impacts de ce texte sur les évolutions réglementaires et les labels volontaires.
À la suite d'une adresse vidéo de Niels Ladefoged, chef d'unité adjoint bâtiments et produits à la Commission européenne, Johann Zirngibl, vice-Président de la Rehva (la fédération des associations européennes de chauffage et climatisation), en a listé les principaux messages. D'abord une "reconnaissance" de la fédération et de ses associations nationales comme "acteurs clés de la transition énergétique aux niveaux européen et national", et le principal objectif de la DPEB, qu'est l’élimination progressive des combustibles fossiles pour assurer la décarbonation et l'indépendance énergétique.
"La priorité doit être donnée à la rénovation, en augmentant le rythme et la qualité, et en faisant un focus sur les bâtiments les moins performants", souligne le responsable. De même, des plans nationaux de rénovation doivent voir le jour, avec une première version attendue fin 2025 avant une consultation publique puis une version finale livrée fin 2026. "Le CVC devrait s’engager dans ce processus pour s’assurer que les plans en question reflètent bien son expérience", prévient Johann Zirngibl.
Interprétations nationales
La DPEB mentionne des nouveaux éléments, en particulier la définition des bâtiments zéro émission, le déploiement à grande échelle de l’énergie solaire, de nouveaux aspects liés à la qualité de l’environnement intérieur, ainsi que la notion de bâtiments intelligents avec solutions énergétiques intégrées. Elle aborde aussi la flexibilité de la demande, les systèmes énergétiques décentralisés utilisant des sources intermittentes (solaire, éolien), la notion de Meps ("Minimum energy performance standards") et celle de précarité énergétique.
"Maintenant que les autres pays vont entrer dans une logique RE2020, ce serait bien de ne pas réinventer l’eau chaude !"
- Hugues Haëntjens, responsable de la communication d'Uniclima
"La DPEB est une directive-cadre, pas un règlement. Elle permet donc des interprétations afin de tenir compte de la situation de chaque pays", illustre le vice-président de Rehva. C'est notamment le cas des méthodes de calcul (la RE2020 en France, la DIN 18599 en Allemagne…), des paramètres de calcul (facteurs d’énergie primaire…), des niveaux d’exigences ou encore des définitions (qu'est-ce qu'un équipement hybride ?).
Autant d'interprétations qui pourraient cependant se transformer en autant de craintes : "Il y a beaucoup d’inquiétudes", admet Johann Zirngibl. Selon lui, "les industriels ont tout de suite compris l’impact de cette directive et le fait que la transposition en droit national va les impacter encore plus". Dans cette situation, la France pourrait jouer un rôle de locomotive et entraîner ses voisins européens sur la voie de la décarbonation du bâtiment.
La France, un exemple pour l'Europe ?
Or, "je ne vois pas la DHUP (Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages) exporter ces atouts au niveau européen", note le responsable. Pourtant, "on a des outils, on sait faire", embraye Marjolaine Meynier-Millefert, à la tête de l'Alliance HQE-GBC. Qui appelle à "garder le cap" et à faire travailler ensemble les acteurs : "Les politiques publiques ont besoin du soutien du privé. Plusieurs mouvements sont en cours, à l’échelle européenne avec la DPEB, mais aussi à l’échelle française avec la lutte contre les passoires thermiques", affirme-t-elle.
Le président du Plan bâtiment durable, Philippe Pelletier, estime pour sa part qu'il "va falloir passer de l’énergie au carbone". Là encore, toutes les énergies seront les bienvenues : "On a besoin de mobilisation volontaire et de droit souple, quelque chose à mi-chemin entre l’incitation et l’obligation. Mais je reste convaincu que si on se saisit de ce besoin d’innovation pour promouvoir la dynamique collective, les pouvoirs publics s’y joindront", avance celui qui préside également l'association Habitat et humanisme.
"On est serein sur le neuf avec la RE2020, mais il y a encore du travail sur la rénovation : le DPE n’est pas parfait mais il a le mérite d’exister ; il faut aussi avancer sur le dispositif Éco-énergie tertiaire, pousser l’innovation, assouplir les méthodes de calcul…"
- Caroline Bouteloup, cheffe de la division rénovation du CSTB
La position du ministère aurait été intéressante à entendre, mais la contribution de ses experts attendra. "La DHUP était invitée à cette table ronde, mais malheureusement nous avons eu une fin de non recevoir", regrette Francis Allard, responsable du programme du congrès 2025 de l'AICVF. Un constat que déplore d'autant plus Frank Hovorka, à la tête de l'association des ingénieurs : "Il y a un manque de reconnaissance de l’excellence française au sein même de l’administration française ! On a été le premier pays à intégrer une analyse du cycle de vie dans le bâtiment. On est passé de 300 kilowatts-heures par mètre carré il y a quelques années à 50 aujourd’hui !"
Prochaine étape : 2030
Autrement dit, Paris n'aurait pas de leçons à recevoir de Bruxelles en matière de décarbonation. "N’utilisons pas la DPEB pour faire de la surtransposition à 3 francs 6 sous, mais mettons dès maintenant tous nos efforts pour être encore meilleurs en 2030", appelle Frank Hovorka. Hugues Haëntjens, qui représente Uniclima (syndicat professionnel des industries thermiques, aérauliques et frigorifiques), rappelle au passage que "l’efficacité énergétique et la vision carbone sont intégrées depuis longtemps par les industriels, et que le secteur continue à innover sur le plan de la décarbonation".
D'après lui, la palette de technologies serait même "la plus ouverte possible". L'Europe aurait donc intérêt à reconnaître l’avance française dans ce domaine. "Maintenant que les autres pays vont entrer dans une logique RE2020, ce serait bien de ne pas réinventer l’eau chaude !"
"Des projets comme Cap2030 et Cible montrent que la filière sait se concerter et qu’il en sort des choses positives et structurantes", relève la cheffe de la division rénovation du centre, Caroline Bouteloup. "On est serein sur le neuf avec la RE2020, mais il y a encore du travail sur la rénovation : le DPE n’est pas parfait mais il a le mérite d’exister ; il faut aussi avancer sur le dispositif Éco-énergie tertiaire, pousser l’innovation, assouplir les méthodes de calcul…"
Mieux communiquer pour mieux attirer
Sylvain Courtey, lui, ne comprend pas que les systèmes efficaces qui existent déjà ne sont pas massifiés. L'enjeu est toutefois bien plus large aux yeux du président d’Eurovent Certita Certification, qui considère qu'il faut "convaincre les gens, former les professionnels, rendre plus attractifs notre filière et nos métiers". Si les politiques publiques donnent un cap aux professionnels, ceux-ci ne sont donc pas dispensés d'un important travail de communication. En conclusion des échanges, Frank Hovorka enfonce le clou : en matière d'énergie et de carbone, "la France n’est plus du tout en retard". Bien au contraire ?