Pourquoi et comment utiliser l’eau, ou R718, comme fluide frigorigène

Par   Pascal POGGI

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Publié le 16 septembre 2025
© Pascal Poggi pour XPair
Le groupe Johnson Controls montre depuis plusieurs années des prototypes de groupes de production d’eau glacée pour l’industrie utilisant le R718.
DÉCRYPTAGE. Face au tour de vis annoncé du règlement F-Gaz, les fluides naturels, dont l’eau, offrent une alternative aux HFC. Plusieurs entreprises ont tenté de développer des groupes thermodynamiques au R718, avec des fortunes diverses.

Pour bien comprendre les enjeux de l’emploi des fluides naturels, qui par définition échappent à la règlementation F-Gaz, nous avons demandé l’avis de Mathieu Guiet du Pôle Cristal, un centre de R&D et d’innovation spécialisé en thermique et labellisé par l’État. Ses clients sont principalement des industriels pour lesquels il réalise de la recherche, des prestations techniques et du conseil en innovation. Naturellement, dans le monde de la thermodynamique, la question des fluides est devenue centrale dans la recherche et le développement des nouveaux produits.

Mathieu Guiet, ingénieur commercial du Pôle Cristal, a notamment participé à plusieurs développements récents pour Atlantic, Aldes, Bosch et BDR Thermea, portant sur l’emploi de nouveaux fluides. © Pôle Cristal

L’eau, l’air, le propane, le butane, l’ammoniaque et le CO2

Au moins six fluides naturels sont déjà utilisés en thermodynamique : l’eau (R718), l’air (R729), le propane (R290), le butane (R600), l’ammoniaque (R717) et le CO2 (R744). Chacun de ces fluides présente des difficultés d’emploi spécifiques : inflammabilité pour le R290 et le R600, toxicité pour le R717 et pression d’emploi ≥ 100 bar pour le R744. Ces contraintes limitent les charges et donc les emplois possibles en génie climatique.

L’eau R718, apparaît séduisante : un GWP ou PRP (potentiel de réchauffement planétaire) nul et un OPD (Ozone Depletion Potential, ou contribution au développement du trou dans la couche d’ozone) nul aussi. De plus, une fuite de R718 dans un local se traduit par une mini-inondation sans aucun aspect toxique ou dangereux.

Oui mais voilà, rappelle Mathieu Guiet, l’eau comporte deux difficultés particulières : les systèmes fonctionnent en dépression par rapport à l’atmosphère, et le très faible nombre de fabricants pèse sur la disponibilité des systèmes et des composants clefs, comme les compresseurs, dans les puissances réduites requises en génie climatique.

Par conséquent, le fabricant de groupe au R718 fabrique aussi la quasi-totalité des composants et ne peut se servir à bon marché sur le marché mondial des composants de climatisation classiques. De plus, maintenir l’étanchéité d’un système en dépression et assurer sa fiabilité pendant 10 à 15 ans, soit la durée de vie à laquelle on s’attend pour une solution thermodynamique en chauffage et rafraîchissement, semble être particulièrement complexe.

Pour certaines applications comme la production de neige dans les groupes froids Gen 4 d’Aalpinov X, le R718 possède d’excellentes performances thermodynamiques. L’eau possède un point de gel élevé (0 °C), ce qui rend très difficile son emploi pour du froid négatif. Sa masse volumique est importante, ce qui crée des difficultés en phase d’évaporation et requiert une consommation d’énergie importante pour son emploi en cycle frigorifique. Depuis une vingtaine d’années, cependant, plusieurs industriels européens ont tenté le développement de machines de climatisation employant du R718.

L’allemand Efficient Energy a disparu

Dès 2013, l’allemand Efficient Energy avait développé et commercialisé le eChiller45 : un groupe eau/eau de 45 kW, froid, le seul qui utilisait le R718 comme fluide. L’entreprise avait ensuite annoncé des modèles à la fois de plus faibles puissances jusqu’à 20 kW et des machines plus puissantes jusqu’à 120 kW.

Les divers modèles de eChiller produisaient de l’eau glacée à 16 °C avec un ΔT maximal de 6 °K sur le retour, soit une température de retour de 22 °C. Ils comprenaient trois étages de compression montés en série et équipés de compresseurs centrifuges spécifiques, ce qui leur permettait de moduler leur puissance de 10 à 100 %. Efficient Energy annonçait pour un régime 16/22 °C (température de départ d’eau/température de retour) des performances énormes : Scop de 24 et Seer de 15,9.

Malheureusement, la fiabilité des machines n’était pas à la hauteur des performances annoncées. Efficient Energy a déposé le bilan en 2023. Ses brevets ont été repris par l’italien Vertiv, qui voulait utiliser cette technologie en refroidissement de data centers, mais rien n’apparaît pour l’instant dans son offre de solutions.

Pour des applications industrielles, Johnson Controls développait à Carquefou, près de Nantes, des chillers eau/eau au R718. Nous avons vu des prototypes sous la marque Sabroe dans plusieurs salons européens. Mais rien n’apparaît non plus dans l’offre de solutions Sabroe, ni chez York, autre marque du groupe Johnson Controls.

Remarquons au passage que ces activités de réfrigération industrielle ne font pas partie du périmètre de marques racheté par le groupe Bosch. Une entreprise française, Leviathan Dynamics, fondée en décembre 2016 s’est aussi lancée dans l’aventure du R718. Une affaire à suivre.


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